L'ORTF sous surveillance
Pour aller plus loin / SILENCE RADIO – Mai 68 à l’ORTF

Contrôle et contraintes
Le pouvoir dispose de deux moyens imparables pour contrôler l’ORTF, sous tutelle du ministre de l’Information. Le premier est le système des nominations, qui permet de disposer d’hommes sûrs. Le gouvernement nomme le directeur général, son ou ses adjoints, le conseil d’administration, dont la moitié des membres sont des représentants de l’Etat, révocables à tout moment (dans les faits, le conseil n’ « administre » pas grand-chose…).
Le second est l’organisme mis en place par Alain Peyrefitte, le Service de liaison interministérielle à l’Information (SLII), où, chaque semaine, des représentants des ministères viennent rencontrer ceux de l’information parlée et télévisée. Ces derniers en ressortent la besace remplie de consignes gouvernementales, les nouvelles à traiter et ce qu’il faut en dire dans les journaux. Dans ces conditions, les conférences de rédactions ne sont qu’une simple formalité. Les représentants du SLII visionnent aussi les reportages des magazines d’information les plus sensibles et imposent leurs coups de ciseaux.
Bref, l’ORTF est « tenue », par la censure mais plus encore, peut-être, par l’autocensure qui touche les questions politiques, bien sûr, mais aussi les questions de mœurs (les téléspectateurs ne sont pas les derniers à protester contre l’ « indécence » de certaines émissions).
En matière de liberté d’information, les seuls espaces de résistance sont constitués par les magazines télévisés, plus autonomes, disposant de producteurs et de réalisateurs bien moins dociles au pouvoir que les responsables des journaux parlés et télévisés : Cinq colonnes à la une, Zoom, Camera III. Ce qui ne signifie pas qu’ils sont exempts de pression : les sujets sensibles sont visionnés par des représentants du SLII, armés de ciseaux. Mais ils se défendent pied à pied et seront d’ailleurs les premiers à s’élever contre la censure à la télévision, en mai 1968.
Michel Honorin explique les mécanismes de la censure à l'ORTF (1990)
Document
Censure, autocensure : le témoignage de Michel Polac
Le choc
Le 2 avril, tandis que Nanterre s’agite déjà depuis deux semaines, l’opposition dépose à l’Assemblée nationale une motion de censure, finalement rejetée, contre la politique de l’information. Le 3 mai, la police fait évacuer la Sorbonne, occupée par 400 étudiants qui protestent contre la prochaine comparution de 8 étudiants de Nanterre, dont Daniel Cohn-Bendit. Le soir même, les premiers affrontements éclatent au Quartier latin et la police interpelle 600 manifestants. « Mai 68 » a commencé. Le 5 mai, quatre étudiants sont condamnés à deux mois de prison ferme. C’est l’engrenage. Les manifestations pour exiger leur libération et le retrait de la police du quartier Latin dégénèrent. Le 10 mai, la « Nuit des barricades » (400 blessés, 460 interpellations, 188 véhicules endommagés ou incendiés) provoque un choc dans le pays. Le mouvement étudiant se double bientôt d’un mouvement social. Le 13 mai, les salariés se mêlent aux étudiants pour défiler de la République à Denfert-Rochereau (100 000 manifestants selon la police, 1 million, selon les organisateurs). Les grèves se propagent. Le 20 mai, on estime à 10 millions le nombre de travailleurs en grève ou dans l’incapacité de travailler. Bref, la France est bloquée et la crise politique n’est plus très loin… Pendant ce temps-là, les journaux télévisés tentent de marginaliser ou de minimiser le mouvement qui ébranle le pays.Charge de CRS au Quartier latin, Inter actualités de 20H00 France-Inter (6 mai 1968)
Voix de Jean-Pierre Elkabbach en studio et de Jean-Claude Bourret dans la manifestation
Situation universitaire, après la Nuit des barricades JT 20h, (11 mai 1968)
Emeutes et manifestations des étudiants à Paris Zoom (14 mai 1968)
Daniel Cohn Bendit et les émeutes étudiantes Zoom (14 mai 1968)
Interdits de terrain
Radio et télévision ont tous les moyens techniques pour couvrir les manifestations. France-Inter fournit quelques directs à ses auditeurs, mais la télévision minimise le mouvement étudiant, ne diffuse que quelques images (muettes, avec commentaire off) et se réfugie derrière les déclarations gouvernementales. L’ORTF laisse toute la place aux radios « périphériques » (Europe n°1 et RTL) qui envoient leurs reporters au cœur de l’événement. Le pouvoir s’inquiète et les journalistes finissent par se voir interdire l’usage des voitures et motos émettrices. Qu’importe ! Les reporters interviennent en direct depuis des cabines téléphoniques ou le téléphone des particuliers.Passant outre les consignes de la direction de l’information, le magazine Panorama tourne un reportage sur le mouvement étudiant. La réplique est immédiate : le 10 mai, il est interdit de diffusion. Le lendemain, les producteurs de Panorama mais aussi de Zoom, de Camera III et de 5 colonnes à la une (Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet, Igor Barrère, André Harris, Alain de Sédouy, Philippe Labro, Henri de Turenne) font parvenir un communiqué de protestation à l’AFP. La direction de l’information ne cède rien : elle diffuse Panorama, mais sans la séquence sur les étudiants. La colère monte. Réalisateurs et auteurs rejoignent les producteurs et dénoncent la censure.
Le 16 mai, la télévision organise un débat avec les leaders étudiants (Daniel Cohn-Bendit, Alain Geismar, Jacques Sauvageot), en espérant les décrédibiliser. Peine perdue : devant leur aisance, l’opération tourne au fiasco.

Alain Peyrefitte s'exprime sur la crise universitaire et les manifestations, interrogé par Yves Mourousi (6 mai 1968)
Tribune sur l'université, débat avec Daniel Cohn-Bendit, Alain Geismar, Jacques Sauvageot, JT de 20h (16 mai 1968)
Impact des grèves aux Halles JT 13h (23 mai 1968)
Pompes à essence JT 20h (31 mai 1968)