A propos du Concerto « À la mémoire d’un ange »
Tous ceux qui ont approché Alma Schindler, avant ou après son mariage avec Gustav Mahler, sont tombés sous le charme. Alban Berg ne fut pas en reste ; en témoigne le Concerto à la mémoire d’un ange, hommage posthume à une « belle adolescente rieuse et grave à la fois », Manon Gropius, fille d’Alma et du célèbre architecte Walter Gropius, morte à dix-huit ans de paralysie infantile, le 22 avril 1935. C’est naturellement à la mère que s’adresse ce requiem instrumental avec, à travers elle, une référence à Mahler lui-même tant par l’alliage du tragique et du style populaire autrichien que par un langage délibérément composite.
Berg, que cette mort avait vivement impressionné, en reporta le choc sur la commande que lui avait faite le violoniste Louis Krasner, en février 1935, d’un concerto pour son instrument. Berg mit de côté le travail d’orchestration du troisième acte de Lulu dans lequel il était alors plongé et découvrit peut-être, dans l’urgence de créer (au lieu d’orchestrer), que le germe musical de ce concerto pouvait se trouver dans une page pour violon seul, composée une dizaine d’années plus tôt et laissée inachevée. Dans cette esquisse, toujours inédite, se trouvent en effet plusieurs idées qui alimenteront le concerto. Son point de départ, notamment, qui consiste à faire sonner successivement, à vide, les quatre cordes du violon, comme s’il s’agissait de révéler l’essence même de l’instrument avant que la main gauche – qui aura fort à faire par la suite – ne se mêle d’y introduire vibrato et virtuosité.
Naissance, mémoire, bascule
C’est d’une naissance qu’il s’agit, et l’on peut penser que les allusions au folklore de Carinthie dont se nourrit la seconde moitié (Scherzo) du premier des deux mouvements enchaînés, sont à l’image d’une enfance insouciante, jusqu’à ce que les coups fatals de la mort, au milieu du second mouvement, ne fassent basculer toute l’effervescence d’un jeu violonistique brillant, parfois acrobatique, dans un adagio final où la citation d’un choral de Bach (« Es ist genug », « C’est assez ») apporte un apaisement religieux... et tonal.
Car dans cette œuvre, comme dans Lulu, Berg concilie les acquisitions du principe schoenbergien de « composition avec douze sons » et les polarités attractives qui font la force du langage tonal : la « série » de douze sons qu’il a élaborée pour ce concerto porte en elle les accords parfaits des quatre tonalités liés aux quatre cordes du violon (sol, ré, la, mi) et, pour faire bonne mesure, quatre notes formant le début d’une gamme par tons entiers, gamme qui suspend la tonalité sans la détruire et par laquelle débute le choral de Bach.
Gérard Condé
Le concert du 10 janvier sera diffusé ultérieurement sur France Musique.