Source et futur de la radio, le micro

Mardi 12 novembre 2013
Je ne sais pas le futur de la radio : je sais par contre sa source, et qu’elle est dans la voix, et dans le bruit du monde, un micro qu’on laisse en l’air dans le fond remuant de la ville, ou bien celui qu’on dirige vers la table vibrante d’un violoncelle.
Je sais par contre qu’on n’en aura jamais fini avec la radio, parce qu’on n’en aura pas fini avec qui on écoute de tout près, la voix dans son grain, la voix de l’autre quand on ferme les yeux, la voix qui dit les histoires ou la voix qui lit un vieux texte ou le plus vieux de tous les textes, qui est le monde lui-même. 

Je sais aussi que changent les outils qui nous apportent ces voix, et la façon qu’elles ont de nous rejoindre : je revois des petits postes transistor scotchés à une conduite d’air au-dessus d’un tour dans l’usine, et retrouve l’odeur de skaï de celui qu’en 1965 je piquais le soir à mon père pour écouter en douce, sous l’oreiller, directement contre l’oreille, ces musiques qui nous venaient de loin. 

Je sais que la radio est une fabrique, et j’entends encore la bande qu’on rembobine à la main, et le grognement qu’elle a au ralenti, quand on cherche le point exact à couper pour placer le petit raccord jaune. Mais l’écouter était aussi une fabrique : ce n’est pas, bien entendu, parler du futur de la radio que revoir mon grand-père m’expliquer ce poste à galène fait de ses mains, l’enroulement fin de cuivre sur le cylindre de bakélite récupéré de je ne sais quelle utilisation sans rapport. Et je mets très haut ce texte de Robert Walser, la première fois qu’à Berlin il écoute en direct un quatuor de Beethoven joué à Vienne, et gambergeant à comment cette invention peut chambouler le monde. 

La Maison de la Radio et de la Musique, comme pour quiconque s’y est perdu trente fois, m’est toujours apparue comme une grotte avec des zones profondes, et interdites – la discothèque. N’importe quelle requête qu’on lance nous déplace vers des mondes enfouis. Les armoires en fer, avec cadenas ou pas, des réalisateurs qui y ont leur vie, et ces boîtes de bandes magnétiques jamais exploitées où ils savent retrouver cette étrangeté-là, précisément, qui vous durera quinze secondes dans l’émission (le nom de Yann Parenthoën). Ou celui qui a fonction de bruiteur et dont le père déjà était bruiteur, et qui pour vous faire rire émet en stéréo le bruit d’une mouche qui vole et puis clac. Mais il vous fera aussi bien une explosion d’une plaque d’aluminium, et manie les fausses portes ou les vraies machines à écrire comme si c’était déjà du H.G. Wells dans votre tête. 

Et rien de tout cela ne dit le futur de la radio. Je n’ai pas d’idée du futur de la radio, aucune. Je n’ai plus d’appareil pour écouter la radio. Mais chacun de mes appareils mobiles, le petit ordinateur à écrire, la tablette à lire, l’ordinateur à main qui sert aussi éventuellement de téléphone, sont capables de transmettre de la voix, et j’appelle radio, simplement  – comme la littérature, c’est le langage mis en réflexion – la voix quand elle est construite, faite récit et livrée à la nuit, où la cueille qui écoute. 

Quelle permanence, quelle forme, quelle idée on peut avoir, nous, de ce qui va s’inventer ? Je repense au formidable texte d’Albert Robida, La fin des livres (1895), où il raconte comment la popularisation, puis la miniaturisation et la distribution des enregistrements sonores vont annuler le besoin même des livres – il s’était trompé, mais en se trompant il a inventé probablement le plus bel idéal pas encore rejoint pour la radio. 

Et si on remontait à la source ? J’ai demandé l’autorisation d’aller voir un des seuls rares endroits que je ne connaissais pas, à la Maison de la Radio et de la Musique, parce qu’on n’en franchit pas le guichet. Mais chaque fois que j’ai été associé à la fabrique d’un de ces objets imaginaires qui s’appellent émission de radio, le technicien revenait du petit guichet avec un panier grillagé, et dans le panier : des micros. 
 

Micros Shure SL58
© François bon

Et qu’on essayait ces micros comme des vêtements neufs. Que votre voix peut paraître toute nue, ou lointaine, chaude ou impersonnelle. Et vous êtes là debout, dans le grand studio dont on a baissé les lumières, l’équipe là-haut derrière la vitre, avec pour seul lien le micro d’ordres, et devant vous le grillage aux formes étrangement conçues du micro usagé ou brillant.
 

Guichet de la microthèque de Radio France
© François bon

Alors quand Baptiste Hurier, Cyril Fila et Hary Odé m’accueillent, c’est presque d’abord une déception. Un lieu si banal, avec petit local de réparation et fer à souder adjacent. Des armoires métalliques avec des tiroirs, et des empilements de boîtes qui pourraient être celles qu’on avait autrefois pour l’argenterie ou la vaisselle des dimanches. Vous vous attendez à quelques micros, il y en a en tout six cents. Mais deux heures plus tard ça danse dans la tête : le micro-sphère, un Schoeps de la taille d’un ballon de handball avec deux capsules qui enregistrent aussi bien l’extérieur spatialisé que la résonance au-dedans, ou le micro-plaque, un Schoeps aussi, qu’on met sur le sol dans les dramatiques, pour les bruits de pas. Ou ce Canon directionnel : il vous prend dix centimètres à cinquante mètres de là, et, dans les dramatiques, donne à la voix de l’acteur un effet comme prononcée de l’autre côté d’un fleuve.
 

Micros directionnels
© François bon

Bien sûr il y a les grandes réserves : quand il faut équiper l’orchestre symphonique, ou la scène d’un festival de jazz, pour lequel on utilise le kit batterie tout préparé, mais pas du tout le même micro si c’est un tambour en extérieur. Pour certains instruments, les micros gros comme le petit doigt ont une forme de bouteille, et seront placés à quelques millimètres, mais pour un piano de concert, on a une valise avec deux Neumann M 149 Jubilee, prix approximatif 7 200 euros, et ces micros se manipulent uniquement avec des gants de tissu blanc, comme le micro à ruban Royer Labs qu’on ne manipulera, lui, qu’à travers sa housse (la belle histoire du californien David Royer, bricolant adolescent de vieux micros à ruban pour enregistrer la musique folk de ses parents avant d’en tirer l’invention qui fait sa fortune). 

Justement, ils ont presque tous des noms, ici, les micros, à mesure qu’on ouvre les tiroirs : j’entends parler du micro de Guy Lux et du micro de Sacha Distel, et dans un tiroir du haut je découvre une vingtaine de ces magnifiques Sennheiser MD-441 à section rectangulaire gainée de cuir qui faisaient la beauté des voix à la télé début des années 70, et l’ovoïde Shure SM 59 disparu pour le Sacha Distel.

Micros directionnels
© François bon

 

Micros de Guy Lux
© François bon


Les Shure 58, solides et tout terrains, créent d’étranges images abstraites dans les tiroirs qui les rassemblent. Mais le mot Neumann est pour moi d’un autre prestige (John Lennon avait en permanence le sien propre) : en voilà encore un tiroir rempli, mais quelle beauté, alors, le métal, quand le cuivre transparaît sous l’usure du vernis noir. Et dans le coin à droite, soigneusement à l’écart, les Neumann TLM-170 parce que c’est l’outil des rappeurs, comme ces deux Violet série Amethyst, qui ressemblent chacun à un petit bonhomme rigolo les bras sur les hanches, seront pour les cantatrices.

Micros Neumann, 2
© François bon

Il a fallu que ce soit moi qui réclame. Ici, quand un matériel ne sert plus, on le confie au service adéquat, et le personnel peut éventuellement le racheter. Alors, on ne sait pas trop pourquoi, ces trois micros-là on les a gardés, alors qu’ils ne servent pas, ne servent plus jamais. Ce Georg Neumann SM-69, sur sa plaque : Berlin, 1931. Ce RE-20 de chez Electro Voice Inn, à Burnsville dans le Minnesota, pas de date. Mais plus ancien aussi que ce Melodium Microphone 42-B, n° 4214, avec un petit switch pour trois positions : speaker, voix, musique, dont il est spécifié qu’il est entré à la Radiodiffusion Française le 30 juillet 1943. Ce Melodium dit à ruban large, il est haut comme une tête d’enfant, il pèse autant que ces vieux transformateurs d’avant l’électronique : mais savent-ils que c’était le microphone d’Edith Piaf ? Et, en 1943, quels discours politiques il a retransmis, à la radio officielle, toute sa première année, et de quels visages il porte l’ombre ? Et, en août 1944, qui est venu y proclamer une autre lumière ? Et pourquoi a-t-on gardé celui-ci et pas les autres du même type qui équipaient l’antenne ?
 
Micros melodium
© François bon

Je ne sais pas le futur de la radio. Je sais seulement que ce qui se passe entre la vibration d’un corps et sa voix et la capsule ou la membrane ou le ruban qui sont là, à quelques centimètres, l’histoire en est plus stable mais tient à cette horlogerie de métal, et que les trois visages qui m’accueillent ici savent toujours – en fonction de la demande qui leur est faite – choisir pour leur visiteur, avec son panier grillagé, parmi six cents de leurs tiroirs, l’unique micro qui restituera ce miracle : ce conte dans la nuit, pour l’autre à distance. Je ne sais pas le futur de la radio, mais je sais qu’il commencera toujours là, dans la réserve aux micros.


L'AUTEUR
François Bon, écrivain
 
François Bon
© François bon

1953 • Naissance en Vendée
1982 • Sortie d’usine (Minuit)
2000 • remue.net, revue littéraire en ligne
2002 • Rolling-stones, une biographie (Fayard) et Les Rolling Stones racontés comme votre vie même (feuilleton sur FranceCulture en 20 épisodes)
2004 • Chiens noirs des seventies (Feuilleton sur France Culture en 20 épisodes dressant le portrait du groupe Led Zeppelin, réalisation Claude Guerre)
2005 • Le tiers livre (site internet de recherche littéraire)
2008 : publie.net
 

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