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De l’importance d’avoir son Bach

« S'il y a quelqu'un qui doit tout à Bach, c'est bien Dieu » affirmait Cioran. Aussi, pas de saison musicale sans lui à Radio France : le Cantor sera servi par les musiciens du National pour une matinée de Brandebourgeois, par un duo d’organistes ou encore par l’Ensemble Diderot. Remontant les siècles, Geoffroy Jourdan et les Cris de Paris partent, eux, aux origines de l’opéra en une soirée exclusivement consacrée à Monteverdi.
En version originale, en traduction contemporaine ou en transcription digitale, la musique baroque se fait entendre sur différents tons à Radio France. La v.o. est assurée par Johannes Pramsohler et son Ensemble Diderot qui ont su accorder leurs instruments anciens aux musiques du passé. Natif du Tyrol mais installé à parisien de longue date, celui qui fut premier violon d’ensembles de premier ordre mène un minutieux travail sur le style des époques et des pays. En attestent de précieux disques documentant les arts français, allemand et italien des XVIIe et XVIIIe siècles et leur circulation européenne. Le programme du 28 février illustre ces échanges et rappelle que Johann Friedrich Fasch (1688-1758) et son compatriote et voisin Johann Sebastian Bach (1685-1750) parlaient l’italien, celui des concertos de Vivaldi (1678-1741) notamment, que les partitions faisaient voyager au-delà des frontières et qui magnifiait le violon.
On reste dans les cordes mais on traverse la Manche pour ne pas oublier que le baroque s’exprime aussi dans la langue de Shakespeare. Shakespeare à qui Henry Purcell (1659-1695) a dédié, à un siècle de distance, des pages pour ses pièces (Le Songe d’une nuit d’été, La Tempête, Timon d’Athènes) mais qui a aussi, dans sa jeunesse, à la fin du XVIIe siècle, composé pour le consort de violes, une formation passée de mode. Mode ou pas, ces fancies, ou fantaisies en français, pour un ensemble de trois à sept violes, offrent, derrière leur homogénéité de timbre, une étourdissante pluralité de gestes et de formules, comme dans un quatuor à cordes. Lucile Boulanger, étoile de la viole de gambe, brillera avec la constellation du Consort des Lucioles dans ce répertoire où se glissent volontiers les ombres du passé (24/05).
Couchées sur le papier plus d’un demi-siècle auparavant, les notes de Claudio Monteverdi (1567-1643) luisent des audaces de la nouveauté mais elles se combinent également avec la discipline collective qui régit encore le XVIIe siècle. Souvent considéré comme le père de la musique moderne, l’auteur de L’Orfeo oscille entre la puissance polyphonique, dans sa musique sacrée, et la liberté mélodique, dans ses madrigaux et ses opéras. C’est cette habilité à enjamber la frontière que Geoffroy Jourdain et Les Cris de Paris mettront en lumière à travers des extraits de la Selva morale e spirituale et des livres de madrigaux (16/12).
Mais puisque ces concerts baroques s’installent à la Maison de la Radio et de la Musique, ils peuvent aussi disposer des forces et moyens qu’elle met à leur service. L’orgue, par exemple, inauguré voici dix ans, distribue quelque quatre-vingts jeux sur quatre claviers et plus de cinq mille tuyaux qui sont autant de promesses chromatiques. Le 20 décembre, Olivier Vernet et Cédric Meckler profiteront de cette riche palette pour présenter Bach (concertos, partita pour violon) autrement et apprécier Ravel, maître indiscuté de la couleur, avec des nouveaux yeux (Boléro d’après sa transcription pour deux pianos).
Les deux orchestres maison participent également à cette promenade baroque. L’Orchestre National de France, en effectif réduit, présente trois Concertos Brandebourgeois de Bach (23/11) tandis que l’Orchestre Philharmonique de Radio France au complet retrouvera John Eliot Gardiner pour deux prometteuses traversées du Channel en compagnie de la soprano Anna Prohaska : Rameau et Debussy (16 janvier) d’une part, Purcell et Britten (22/01) d’autre part. Des premiers seront entendus la stupéfiante ouverture de Zaïs, qu’introduisent le sourd martellement du tambour voilé et les questions inquiètes des cordes, la suite des Boréades et
le mystère orchestral de Pelléas et Mélisande. Des seconds se répondront des extraits de The Fairy Queen et les éblouissantes Illuminations, d’après Rimbaud, et le Young Person’s Guide to the Orchestra qui, comme son nom l’indique, permet de découvrir les différents instruments.
Radio France c’est un orgue, des orchestres mais aussi des chœurs, notamment celui d’enfants, la Maîtrise qui, conduite par sa cheffe Sofi Jeannin, rejoindra l’Orchestre de Chambre de Paris dirigé par Thomas Hengelbrock dans une sélection de chorals de Bach (26/03). Un orchestre moderne mais en équipage léger avec des enfants, comme à l’époque. La diversité de ces propositions permet la variété des perspectives et des écoutes et évite ainsi la querelle des anciens et des modernes.
Philippe Venturini