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En avant le jazz !

C’est à Sylvaine Hélary que revient l’honneur d’inaugurer le nouvel Orchestre national de jazz, en revisitant l’univers protéiforme de Carla Bley.
Née en 1976, la flûtiste Sylvaine Hélary a fait, à partir du milieu des années 2000, une entrée lente et discrète sur la scène du jazz, par une porte dérobée, à l’écart des familles aisément étiquetables. Mais, d’emblée, ses collaborations, ses projets orchestraux et ses improvisations ont révélé un univers parfaitement original, résultant de rencontres décisives (Bernard Lubat, Christophe Monniot, Steve Coleman, Marc Ducret, le Surnatural Orchestra qu’elle a fréquenté pendant dix ans) et d’un large et intense butinage, à la croisée de l’orchestre de chambre et de la musique contemporaine, du rock et de la chanson, des arts de la rue et du théâtre musical, de l’écrit littéraire et de l’improvisation musicale.
Au cours des sixties, Carla Bley (1936–2023) fit, elle aussi, son entrée sur la scène du jazz par une porte tout aussi dérobée, lorsque le pianiste Paul Bley fit adopter, dès 1960, par le trio de Jimmy Giuffre les insolites partitions de sa compagne d’alors, aussitôt reprises par George Russell, Don Ellis, Art Farmer, John Gilmore, Pharoah Sanders et Marshall Allen. À l’automne 1964, elle est la seule femme à intégrer la Jazz Composers Guild, coopérative qui fédéra, quelques mois durant, l’élite du free jazz new-yorkais. C’est dans ce cadre que débute alors son œuvre orchestrale, qu’elle dirigera bientôt depuis son piano, à la tête de petites, moyennes, voire très grandes formations, entre onirisme et espièglerie, jusqu’aux problèmes de santé qui mirent fin à sa carrière à la fin des années 2010.
Assistée du saxophoniste Rémi Sciuto, Sylvaine Hélary en a arrangé quelques-unes des pages les plus marquantes : de celles qui s’inscrivent dans le sillage de Escalator Over The Hill, son fameux opéra du tournant des seventies (In India, 1974 ; Musique Mécanique, 1978) et qui témoignent de son sens du tragique (Útviklingssang, 1980) ou de l’humour (Very Very Simple, 1981), d’une dévotion ancienne mais tardivement exprimée pour la tradition du big band (Ups And Downs, 1988) ou la musique de chambre (Fancy Chamber Music).
Sylvaine Hélary s’est entourée de musiciens à la créativité typique d’un siècle où le jazz, école de l’initiative musicale improvisée ou écrite, par la maîtrise instrumentale, harmonique et rythmique qu’il requiert, est devenu une plateforme tournante permettant les brassages pluridisciplinaires, des plus exigeants aux plus ludiques. Elle inaugure avec ce programme un nouvel Orchestre national de Jazz qui fait déjà date.
Franck Bergerot
