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Il était une fois… le monde 

Publié le mar 23/09/2025 - 14:15
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Photo : Christophe Abramowitz
Photo : Christophe Abramowitz
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Après leurs escapades en Bohême, en Sibérie ou en Afrique, les Contes de la Maison ronde poursuivent leur voyage musical et s’installent en Inde, auprès d’un prince, Rama, héros épique d’un poème fondateur de la tradition hindoue, le Ramayana.  

« Cric, crac ! », « Il était une fois… », « Dans un pays lointain… » Ces formules qui ouvrent traditionnellement les contes et existent dans toutes les langues sont un passage obligé. « Cela montre que l’on entre dans un autre monde, un autre espace et un autre temps », explique Bernadette Bricout, professeure de lettres, spécialiste des mythes et contes oraux. Ces récits, d’abord transmis oralement aux enfants pendant des générations avant d’être diffusés dans les premiers recueils imprimés, provenaient souvent de contrées lointaines, offrant leur lot d’exotisme et de traditions méconnues. 

Pour autant, leur vocation première n’était pas nécessairement d’inculquer aux jeunes lecteurs de nouvelles connaissances historiques ou géographiques. Loin s’en faut ! Au XVIIᵉ siècle, les contes sont moraux ou destinés à l’éducation des jeunes princes (les contes de Fénelon, par exemple). 

Il faut attendre pas moins de dix siècles pour que les aventures d’Ali Baba et d’Aladin arrivent jusqu’en France. Ce formidable portrait de l’Orient que sont Les Mille et Une Nuits n’a en effet été retranscrit et traduit en français par Antoine Galland qu’au XVIIIᵉ siècle. 

Au siècle suivant, les contes de cultures traditionnelles étrangères, tels que La Reine des neiges de Hans Christian Andersen, se multiplient. En Italie, le pédagogue Alessandro L. Parravicini écrit un recueil intitulé Giannetto, qui pour la première fois propose à la jeunesse une sorte d’encyclopédie composée de récits historiques, scientifiques et quotidiens. En Angleterre, le conte moral est progressivement remplacé par le conte documentaire. Celui-ci s’allonge et apporte de nouvelles connaissances. Mais il est souvent très dense et présenté dans une mise en forme assez austère. Et il faut bien admettre que les lecteurs ne sont pas toujours au rendez-vous ! Malgré les efforts des éditions Hachette, qui agrémentent les Contes américains de Miss Mac Intosch de 120 vignettes inédites, cette publication française est un fiasco. En 1912, l’accueil du Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède, écrit par Selma Lagerlöf — pourtant prix Nobel depuis 1909 — et traduit chez Perrin, n’est guère meilleur. 

« Être éditeur, ce n’est pas suivre le goût du public, c’est lui proposer autre chose », écrivait l’éditeur de Henry Miller et Georges Perec, Maurice Nadeau. Ainsi, malgré son échec américain, Hachette se lance dans la vulgarisation scientifique pour enfants avec des collections dans lesquelles l’histoire naturelle se transforme en conte. À cette même époque, l’auteur Maurice Bouchor constate qu’« une pluie de contes destinés à l’enfance » tombe chez les libraires. Lui-même transcrit des contes issus de traditions populaires européennes, orientales ou africaines, enrichis par des préfaces, des conclusions, des notes et commentaires qui donnent au livre une dimension aussi bien pédagogique que politique. « Ces contes vous paraîtront, à certains égards, différents de nos contes français, et pourtant vous ne vous y sentirez pas dépaysés. Vous les aimerez beaucoup, et vous aurez bien raison », promet-il à ses jeunes lecteurs. 

En 1913, l’éditeur Nathan se lance à son tour dans l’aventure avec sa collection Contes et légendes de tous les pays, qui fera date tant par son contenu que par sa forme. La confection soignée de ces livres en cuir ou toilés en fait de parfaits livres d’étrennes. Le succès est immédiat auprès des familles, mais également des enseignants qui apprécient les contributions d’auteurs dotés d’une connaissance fine des pays et de leurs peuples. 

La bibliothécaire Mathilde Leriche, militante sur les questions d’éducation et pionnière en littérature pour la jeunesse, a été l’une des premières à reconnaître le conte comme un vecteur essentiel de transmission culturelle et éducative. Dès 1924, elle a contribué à la création de la bibliothèque parisienne pour enfants L’Heure Joyeuse. Elle a aussi été à l’origine de L’Heure du conte en bibliothèques. 

Un siècle plus tard, la collection de Fernand Nathan poursuit son incroyable ascension en teintes blanc et or, avec plus d’une centaine de titres et des enrichissements graphiques et documentaires portés par de grands noms comme Christian Jacq ou François Roca. 

Après la Seconde Guerre mondiale, les maisons d’édition jeunesse foisonnent et se détournent progressivement d’un certain goût pour l’exotisme et le colonialisme jugé désuet. Elles s’ouvrent à une approche plus anthropologique et pacifiste des contes et valorisent le rôle de passeur des conteuses et des conteurs. Parfois bilingues (L’Harmattan Jeunesse), somptueusement illustrées (Rue du Monde), ou mises en voix et en musique (Gallimard Jeunesse), ces publications sont un éloge de la diversité. 

Pourquoi le conte, depuis la nuit des temps, fascine-t-il tant ? Voici sans doute ce que répondrait l’un des chasseurs groenlandais du maître du racontar nordique, Jørn Riel : « Tu comprends, mon p’tit gars, parler de ses exploits, c’est peut-être pas mal pour tuer une soirée d’hiver. Mais tant qu’à faire, vaut mieux raconter quelque chose que les autres n’ont pas vécu. » 

Anne-Valérie Guerber 

Album de 132 illustrations du Ramayana Masulipatam / DR

Titre
Les aventures du prince Rama - Légendes indiennes

Sous-titre
Les contes de la Maison Ronde