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Les 80 ans de la Maîtrise de Radio France

Une saison festive s’annonce pour le chœur d’enfants le plus célèbre du pays qui fête ses 80 ans. Un grand âge ? Une nouvelle jeunesse, répondent ceux qui en composent la partition. L’anniversaire, célébré lors d’un grand week-end, rassemblera toutes les facettes de la longue histoire de la formation, entre Dutilleux et Birds on a Wire, entre tradition et modernité. L’occasion de revenir sur son identité unique et multiple à la fois.
Des souvenirs, il y en a tant… Meryl Streep en récitante de Dream Requiem de Rufus Wainwright, la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris, les acrobates et danseurs de Rachid Ouramdane et sa Compagnie XY pour le spectacle Möbius Morphosis, ou Howard Shore et la langue elfique pour la soirée Le Seigneur des Anneaux… Les maîtrisiens et les maîtrisiennes ont des étoiles dans les yeux lorsqu’ils évoquent les grands projets qu’ils ont accompagnés sur scène. Ou ceux, moins médiatisés mais tout aussi exceptionnels, lors de la « simple » saison de concerts.
Mais au-delà de productions exceptionnelles, la Maîtrise de Radio France est avant tout une école et une formation au chant et à la musique, avec 180 élèves sur deux sites, le site historique à Paris et le site de Bondy, en Seine-Saint-Denis. Encadrés par une équipe de 30 professeurs, ils suivent un double cursus, du CM1 à la terminale, sur le même principe d’exigence et d’excellence artistiques : les matinées sont consacrées à l’enseignement général et les après-midis à la musique. Cours de chant, de piano, de formation musicale, harmonie ou direction de chœur et, évidemment, de chorale, ateliers théâtre, expression corporelle ou prononciation du hongrois, de l’araméen ou de l’elfique… Jusqu’à 13 heures de musique par semaine, toutes les fantaisies ont le droit de cité !
Répartis en quatre chœurs selon les âges et les niveaux, les maîtrisiens et les maîtrisiennes participent à une vingtaine de concerts dans le cadre de la saison de Radio France : cinq siècles de musique, de Bach et Vivaldi aux compositeurs contemporains, aux côtés des autres formations « maison », le Chœur, l’Orchestre Philharmonique de Radio France et l’Orchestre National de France. Et ce sans oublier leur propre saison chorale, dans le splendide écrin boisé de l’Auditorium de Radio France ou ailleurs.
Une école de passion, une école de chœur
Mais de quelle étoffe sont-ils faits, ces enfants aux doubles agendas de ministres ? « Tout est dans l’organisation, sourit Marie-Noëlle Maerten, cheffe de chœur et directrice adjointe. Depuis les petites classes, ils font leurs devoirs plus vite que les autres pour pouvoir aller chanter. » Le double cursus, c’était justement l’originalité de la Maîtrise de la Radiodiffusion française, à sa fondation, en 1946, par Henry Barraud et Maurice David : « C’était l’une des premières expérimentations du mi-temps pédagogique, avec un projet ambitieux permettant aux enfants l’épanouissement à travers le chant, tout en maintenant la gratuite des études grâce au partenariat avec l’éducation nationale » explique Sofi Jeanin, directrice musicale depuis 2008.
Fondée pour constituer une pépinière de choristes, notamment pour les besoins des ensembles de la maison mère, la formation vocale, rebaptisée « Maîtrise de Radio France » après l’éclatement de l’ORTF en 1975, avait pour mission principale de faire vivre le répertoire choral existant et d’impulser le renouveau du répertoire à voix égales. Une mission qui reste un axe fort, 80 ans plus tard, et une vraie richesse pour les enfants : « La création représente une immense part de notre activité et cela dans des esthétiques diverses : de la plus pointue autour du festival Présences par exemple, à la chanson ou la pop. Chanter un répertoire toujours renouvelé, c’est un panel formidable de formation pour les enfants » souligne Maud Rolland, déléguée générale de la formation. Au fil de son histoire, la Maîtrise a ainsi constitué un solide catalogue, émaillé de collaborations privilégiées avec Isabelle Aboulker, Alexandros Markéas, Édith Canat de Chizy, Julien Joubert ou Zad Moultaka, mais aussi avec la plus jeune
génération, des compositrices notamment : « On a travaillé et continuons à le faire avec Tatiana Probst, Héloïse Werner, Joséphine Stephenson, Lise Borel qui, en plus d’être de talentueuses compositrices, sont d’anciennes maîtrisiennes. Comme elles savent l'exigence de notre répertoire, elles nous donnent du fil à retordre » s’amuse Maud Rolland.
La Maîtrise à mille visages
À ses débuts réservée aux filles, qui y entraient plus tard et restaient au-delà de l’âge du baccalauréat, dans les années 2000 la Maîtrise a rajeuni et évolué vers plus d’ouverture, raconte Marie-Noëlle Maerten, qui a elle-même fait ses classes de chant à la Maîtrise dans les années 1990. « Il y a eu une volonté de se rapprocher du public et de lui donner une visibilité meilleure ». Un virage entamé par Toni Ramon, directeur musical de la formation, disparu prématurément en 2007 et un héritage dont Sofi Jeanin a fait son cheval de bataille. Aujourd’hui, les garçons représentent un tiers des effectifs et ont même, depuis 2010, un traitement spécial quand la voix fait défaut : pendant la mue, ils continuent à chanter dans le chœur de garçons à vocation pédagogique pour « garder ce sentiment d’appartenance qui est le liant de la pratique chorale » explique Marie-Noëlle Maerten.
Mais le projet phare de ce renouveau fut la création, en 2007, d’un deuxième site, implanté à Bondy, dans une ZEP : « Il y avait cette idée qu'il y avait quelque part des enfants qui avaient les mêmes capacités musicales que ceux qui chantaient déjà à la Maîtrise et qui venaient d'un milieu socio culturel privilégié, et qu'il suffisait d'aller les trouver pour leur permettre de se révéler à travers une pratique musicale » raconte Morgan Jourdain, directeur adjoint et responsable du site de Bondy. Et de leur offrir ainsi, au-delà d’une maîtrise des compétences et de l'expérience des concerts, « une possibilité de se réaliser en tant qu'individus et dans la confiance. »
Le site de Bondy était au départ limité aux classes du primaire et du collège ; depuis 2021 il offre aux Bondynois un cursus complet jusqu’à la terminale. Les maîtrisiens de Bondy suivent le même enseignement que les élèves parisiens et retrouvent leurs camarades pour les productions et la saison de concert. « Ce qui est primordial pour nous, c’est que le chœur d'enfants du service public soit représentatif des Français, avec les enfants de toutes les provenances et de tous les milieux socio-culturels, réunis autour des mêmes objectifs artistiques et pédagogiques, sans aucune concession sur l’exigence ou la qualité de l’enseignement, souligne Sofi Jeanin. On espère peut-être, à long terme, que la Maîtrise contribue ainsi à bouger les lignes dans la société. » Une Maîtrise à mille visages, le meilleur gage de l’avenir.
Suzana Kubik