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Loin des yeux, près du chœur

Cette saison, le Chœur de Radio France interprète deux grands requiem contemporains, nés à 37 ans d’écart, hantés par la guerre et la poésie anglaise. Au sublime War Requiem de Benjamin Britten répondra le bouleversant Requiem a cappella d’Olivier Greif, écrit un an avant sa mort en 2000.
Tout est parti d’un malentendu. Nous sommes au milieu des années 60. Benjamin Britten et son compagnon Peter Pears jouent le Voyage d’Hiver de Schubert à la Salle Gaveau. Le jeune Olivier Greif se fait dédicacer son programme à l’issue du concert. Les mots signés sont encourageants : « Pour mon jeune confrère Olivier Greif, avec toute l’affection de Benjamin Britten ». Pourtant, le cadet déchire le mot de son aîné, trouvant alors la musique de Britten pas assez moderne et dodécaphonique. Les choses changent drastiquement à la décennie suivante : Greif reçoit le choc de l’opéra Peter Grimes et ne cesse dès lors de vouloir rendre hommage à Britten. Ce seront Les chants de l’âme, écrits en 1979 à la mémoire du compositeur britannique.
Olivier Greif et Benjamin Britten possèdent de nombreux points communs. Ils aiment la musique élisabéthaine, les comptines d’enfants, ils mettent en musique les poètes anglais comme John Donne ou William Blake et gardent une farouche indépendance vis-à-vis de leurs contemporains. Le 15 février 1999, Greif écrit dans son Journal (Éditions Aedam Musicae, 2019) : « J’ai terminé ce matin la composition de mon Requiem. Je n’ai jamais été aussi seul. Seul spirituellement, seul humainement et enfin seul musicalement ». Écrit un an avant sa disparition (Greif meurt devant son piano à l'âge de 50 ans), le Requiem pour double chœur a cappella montre la mort comme « celle qui, étant l’aboutissement de toute vie, lui donne sens ». En mêlant le texte liturgique à des chants populaires anglais, Greif clôt une œuvre hantée par la tragédie de la Shoah (son père est un survivant d’Auschwitz) et la disparition de ses proches.
Créé en pleine guerre froide, le War Requiem (1963) de Benjamin Britten s’affirme également comme une protestation pacifiste. Comme Greif, le compositeur britannique mêle le sacré à des textes profanes, en l'occurrence de Wilfred Owen (1893-1918), jeune poète anglais mort au combat durant la première guerre mondiale. Le Libera me final est une marche funèbre saisissante : un soldat allemand et un soldat anglais fraternisent dans le tunnel des morts. Deux voix nous exhortent et chantent Let us sleep now » (laissez-nous dormir à présent) bientôt rejointes par le chœur et les voix d’enfants. Olivier Greif écrivait : « Je ne compose que pour toucher, pour émouvoir, pour bouleverser, pour élever, pour charrier la terre ». Ces deux chefs-d’œuvre, portés par le Chœur de Radio France (15/01 et 12/06), nous touchent au plus profond de nous-mêmes.
Laurent Vilarem