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Petite histoire Des histoires pour petits

Publié le mer 03/04/2024 - 15:30
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Photo : Christophe Abramowitz
Photo : Christophe Abramowitz
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Presque centenaires, Les Histoires du Père Castor revivent ce printemps, en musique, sous la plume d'Isabelle Aboulker. Mais à quand remonte la littérature pour enfants ?

Si l’abondance des livres au rayon jeunesse des librairies n’aura échappé à personne, il est intéressant de se rappeler qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Tel le bon alignement des planètes, l’Histoire nous montre qu’il aura fallu croiser de nombreux facteurs sociaux, techniques et culturels pour qu’une offre éditoriale pour la jeunesse se déploie. Aujourd’hui, l’enfant est un Robinson de la lecture, découvreur énergique aussi prompt à l’enthousiasme qu’au mépris. Il construit son parcours de lecture en solitaire, au gré de ses envies, glanant 
les conseils des adultes ou les refusant tout à trac. Un comportement tout simplement inimaginable au Moyen Âge ! Le quotidien des bambins alors considérés comme des « petits adultes » est plus austère. La plupart n’ont pas accès au livre. Seule une élite se voit remettre des fascicules sans illustration et destinés à l’apprentissage des rudiments : le catéchisme, la vie des saints, sans oublier les civilités et les principes d’éducation des princes et des nobles !

Grâce au colportage et à un certain Charles Perrault, le XVIIe siècle s’ouvre au conte et au 
roman de chevalerie. Les almanachs ont le vent en poupe. Quelques décennies plus tard, les Don Quichotte, Gulliver et Crusoé font rêver les enfants. Ce d’autant plus qu’avec le développement de l’imprimerie, les premières illustrations entrent en scène. Même si ces classiques sont d’abord écrits pour les adultes, des éditeurs anglais emmenés par John Newbery pressentent l’intérêt de les adapter pour la jeunesse. 
Au cours du siècle des Lumières, John Locke et Jean-Jacques Rousseau redéfinissent le statut de l’enfant. Il bénéficie notamment de plus d’autonomie. Ces réflexions s’inscrivent dans un long mouvement qui perdure au XIXe siècle avec l’instauration de l’école pour tous. Ainsi, le livre pour enfants se voit accorder une nouvelle légitimité. On joue sur la typographie pour favoriser l’apprentissage de la lecture, et l’illustration prend le pas sur le texte. Dans le même temps, la mode est aux feuilletons. En 1864, alors qu’il débute une collaboration avec le jeune Jules Vernes, l’éditeur Hetzel fait fortune avec son Magasin d’éducation et de récréation. Ces publications périodiques contribuent, dans une large mesure, à la démocratisation de la littérature jeunesse. 
Au début du XXe siècle, les contes moraux publiés jusqu’alors par des éditeurs provinciaux battent de l’aile et cèdent leur place à des albums originaux imaginés par des auteurs et illustrateurs qui se consacrent désormais entièrement à la littérature jeunesse. La chance sourit à ces derniers, puisque de nouvelles techniques d’impression offrent une palette de couleurs élargie et des images d’une qualité inégalée ! L’album dit « moderne » est lancé en 1919, avec la parution de Macao et Cosmage d’Edy Legrand à la « Nouvelle Revue Française ». Durant l’entre-deux-guerres, un genre nouveau s’impose : le livre-jeu. On voit alors sortir des presses des livres à tirettes, découpes et calques. C’est l’époque des « Histoires du Père Castor ». 
Cette collection est fondée en 1931 par le talentueux Paul Faucher. Elle fait naître une ribambelle de personnages qui habitent encore aujourd’hui notre imaginaire collectif : Michka, Marlaguette, Roule-Galette… La compositrice Isabelle Aboulker s’en est d’ailleurs emparé récemment pour composer une suite pour chœur et petit ensemble instrumental. Ce printemps, la Maison Ronde vous donne rendez-vous au studio 104 pour découvrir 
cette œuvre chatoyante interprétée par la Maîtrise et l’Orchestre Philharmonique de Radio France. 
La littérature jeunesse poursuit son ascension après le babyboom, avec la création de bibliothèques et librairies spécialisées. La Loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse vise notamment à limiter le risque de propagande par les mots et l’image. Des plumes célèbres comme Eugène Ionesco ou Jacques Prévert se tournent vers les jeunes lecteurs. Et pour la première fois, les auteurs jeunesse obtiennent une reconnaissance. C’est la 
période faste des séries (Martine, Oui-Oui) qui marquent le succès de collections comme la « Bibliothèque Rose ». 

Dans les années 50 et 60, en réaction au triomphe populaire des journaux illustrés (Spirou, Tintin, Astérix), un mouvement alternatif porté par des auteurs comme Maurice Sendak et Tomi Ungerer se propose de défendre des sujets corrosifs comme l’inconscient enfantin ou l’opposition à l’autorité parentale. Picsou doit désormais faire face aux Trois Brigands ! Naissent alors de prestigieuses maisons d’édition comme Gallimard Jeunesse ou L’école des Loisirs. 
Au cours de ces dernières décennies, le nombre de titres parus explose et les tirages n’ont de cesse d’augmenter. La multiplication des supports et l’arrivée du numérique amplifient ce phénomène. Les livres se déclinent en livres audio, podcasts, escape games. Les best-sellers sont adaptés en séries TV et il n’existe plus un collège sans mangathèque. 
Mais cette diversité inédite des supports favorise-t-elle toutes formes d’expression ? Que penser de ces éditions revisitées d’œuvres comme celle, en Grande-Bretagne, de Roald Dahl ? Le moment est-il venu, comme le défendent certains, de déconstruire les préjugés racistes ou sexistes contenus dans les œuvres ? En 2023, Salman Rushdie s’insurge sur Twitter : « Roald Dahl n’était pas un ange mais il s’agit ici d’un cas de censure absurde. » La réécriture peut porter sur le physique des personnages, leur poids, leur genre et même leurs goûts littéraires. Faut-il dénoncer ces initiatives au motif qu’elles peuvent mettre en péril la liberté 
de création ? 
La littérature jeunesse est – et mérite de rester – une force vive qui transforme, éclaire et repousse les frontières de nos mondes intérieurs. Laissons, à ce propos, le dernier mot au papa du Bon Gros Géant : « Il faut être fou pour devenir écrivain. Celui qui choisit cette profession n’a qu’une seule compensation : une absolue liberté. » 

 

Anne-Valérie Guerber

Marie-Noëlle Maerten

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6 avril