Cet hiver, le cinéma donne de la voix à Radio France, des épopées de John Williams aux BO de Lelouch magnifiées par Francis Lai. L’occasion de s’interroger sur la place de l’acteur dans l’histoire de la musique.
Narrateurs, récitants, rôles parlés : la déclamation en musique a une longue histoire, sur la scène lyrique ou au concert. L’alliance de la voix parlée et de la musique est d’ailleurs née au théâtre, dont le répertoire léger a tôt accueilli des intermèdes chantés ou dansés, par exemple le mask baroque anglais, dit aussi semi-opera. Côté « sérieux », Jean-Jacques Rousseau signe avec Pygmalion (1770) un long monologue ponctué de la musique d’Horace Coignet : voici inventée la musique de scène. Le genre est servi dans les années suivantes par Jiří Antonín Benda ou Mozart – qui parlait de ses « opéras sans chanteurs » : Semiramis (perdue) et Thamos, König in Ägypten (pour un drame de Tobias Philipp von Gebler). La postérité offrira à certaines musiques de scène une gloire autonome, oublieuse de leur binôme théâtral : voyez Egmont de Beethoven (pour Goethe), Le Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn (pour Shakespeare), L’Arlésienne de Bizet (pour Daudet) ou Peer Gynt de Grieg (pour Ibsen).
Genre lyrique le plus généreux en scènes parlées, l’opéra-comique les réserve aux dialogues, où le chanteur se doit plus que jamais d’être aussi acteur. Il accueille aussi des mélodrames, séquences parlées en musique dont témoignent par exemple L’Étoile du Nord de Meyerbeer ou Carmen de Bizet. Sous l’égide de Shakespeare et du mask, Obéron de Weber (1826) constitue un cas à part, mêlant rôles chantés et rôles parlés. À l’opéra, royaume du « tout chanté », les rares mélodrames ont des raisons d’être dramaturgiques : les « scènes de la lettre » – de Lady Macbeth (Macbeth de Verdi) à Geneviève (Pelléas et Mélisande de Debussy), les exemples sont légion –, les épisodes fantastiques – la Gorge-au-Loup du Freischütz (Weber) –, la mise en abyme du théâtre – comme quand Adrienne Lecouvreur, dans l’ouvrage de Cilea, récite un extrait de Phèdre. Singulièrement, Massenet privilégie à partir de Manon (1884) les dialogues en mélodrame orchestré, parfois même en déclamation rythmée. Dans ses opéras à sujet mythologique (Ariane, Bacchus), l’effet se veut antiquisant. Au XXᵉ siècle, le répertoire lyrique fera parfois appel à des acteurs récitants ou à des rôles parlés, par exemple chez Stravinsky (Œdipus Rex), Milhaud (Christophe Colomb) ou Honegger (Jeanne au bûcher).
Mais cette histoire déborde largement la scène dramatique. Toujours inventif, Berlioz offre à sa Symphonie fantastique une suite dite « mélologue » : Lélio ou le Retour à la vie, où un narrateur introduit chaque partie de cet ouvrage pour solistes, chœur, piano et orchestre. Schumann suit sa trace avec Manfred. L’Allemagne romantique crée par ailleurs la ballade mélodramatique : un type de lied pour voix déclamée et piano, qu’illustreront Schubert, Schumann, Liszt ou R. Strauss. Le parlé-chanté (Sprechgesang) de Schoenberg (Pierrot lunaire, 1913) en sera un lointain avatar. Un nouveau genre symbolise bientôt la fusion voix parlée-musique : le conte musical – qu’il se destine aux petits ou aux grands. De L’Histoire du soldat de Stravinsky et Ramuz (1918) à Timouk de Connesson et Yun-Sun Limet (2010) en passant par Pierre et le Loup (Prokofiev), L’Histoire de Babar, le petit éléphant (Poulenc d’après de Brunhoff) ou Piccolo, Saxo et compagnie (André Popp et Jean Broussolle), sa popularité ne se dément pas. À l’origine instrumental, Le Carnaval des animaux de Saint-Saëns (1886) a même inspiré a posteriori plusieurs auteurs, le plus célèbre d’entre eux étant Francis Blanche. Élargissant encore ce répertoire originel, les récentes décennies ont vu fleurir les concerts épistolaires ou poétiques, faisant dialoguer pages littéraires et musicales choisies autour d’une thématique commune. Entre autres interprètes, le pianiste François-René Duchâble et le comédien Alain Carré ont ainsi exploré la correspondance de Chopin, les poèmes de Rimbaud ou la rencontre esthétique Nietzsche-Wagner. Musique et parole nouvellement mêlées, pour un verbe lyrique à l’harmonieux accord.
Chantal Cazaux
Titre
Musiques de films, John Williams / Indiana Jones / E.T / Star Wars