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Rencontre avec Suzanne Gervais de France Musique

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« À la radio, j’aime quand l’auditeur sent qu’on lui parle vraiment »
Publié le ven 05/12/2025 - 16:15
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Suzanne Gervais - Photo : Christophe Abramowitz
Suzanne Gervais - Photo : Christophe Abramowitz
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Journaliste, productrice, autrice de podcasts et voix familière des auditeurs de France Musique, Suzanne Gervais incarne une génération de journalistes à la croisée de la curiosité musicale et du goût du récit. De ses débuts à La Lettre du Musicien à ses séries documentaires pour la radio publique, elle revient sur son parcours et sur son rapport très vivant à la radio. 

Comment la musique et la radio sont-elles entrées dans votre vie professionnelle ? 
Mon parcours a toujours oscillé entre lettres et musique. Après une khâgne option musique, j’ai poursuivi à la fac tout en gardant mon violon au conservatoire. Une année à Berlin m’a ouvert d’autres horizons : je travaillais pour des groupes, dans des bars… Puis un stage à Beaux-Arts Éditions m’a donné envie de me former au journalisme. J’ai intégré le CFJ de Paris en apprentissage, avant de rejoindre La Lettre du Musicien. Cinq années passionnantes, entre presse professionnelle et défense du métier de musicien. En parallèle, j’ai proposé une chronique à France Musique, d’abord dans la matinale de Saskia de Ville, puis avec Jean-Baptiste Urbain, avant d’assurer moi-même des remplacements et de me tourner vers les podcasts. 

Entre la matinale et les podcasts, deux rythmes très différents : lequel vous correspond le mieux ? 
La matinale de juillet m’a énormément plu : l’énergie du direct, la présence quotidienne auprès des auditeurs, c’est l’essence de la radio. Mais j’aime aussi l’écriture au long cours et la réalisation des séries documentaires. C’est un autre rapport au son, plus médité. Aujourd’hui, avec de jeunes enfants, ce rythme me convient. Peut-être qu’un jour, j’aurai envie d’une présence plus régulière à l’antenne. 

Vous venez d’évoquer la « force du direct ». Qu’a-t-il de si particulier à vos yeux ? 
Le direct, c’est la surprise. J’aime allumer la radio et tomber par hasard sur un reportage ou une voix que je n’attendais pas. À l’heure du tout-à-la-demande, ce moment partagé, imprévisible, reste précieux. Si le direct disparaissait totalement, je trouverais ça triste. Rien ne remplace la sensation d’un studio vivant, d’une parole qui se déploie maintenant, pour toi. 

Dans vos podcasts, comme la série Journal intime, quelle part laissez-vous à la fiction ? 
C’est un équilibre subtil. Sur Farinelli, par exemple, j’ai travaillé la documentation la plus sérieuse possible, mais la fiction permet d’incarner les zones d’ombre. La vulgarisation passe aussi par le romanesque : on veut captiver tout en restant fidèle à l’histoire. C’est un exercice que j’adore, d’autant que les auditeurs ont aujourd’hui une offre immense. Il faut donc les happer dès les premières minutes. 

Vous vous définissez davantage comme journaliste que comme musicologue ? 
Oui, complètement. J’ai étudié la musique, mais je ne suis pas musicologue. Mon approche reste journalistique : reportage, enquête, écriture. Ce qui me plaît, c’est d’être un passeur — trouver les mots justes pour relier une œuvre, une histoire, à ceux qui écoutent. Je crois que c’est là que la radio devient la plus belle : quand elle reste curieuse, humaine et accessible. 

Vous avez parlé d’un « métier à la croisée des disciplines ». Cela vous ressemble ? 
Oui, sans doute. J’ai eu la chance de toucher un peu à tout : la presse, le podcast, le direct, même la vidéo avec le CMBV avant les coupes budgétaires. J’aime ce côté multiforme : aujourd’hui, on ne peut plus être seulement « voix d’antenne ». Il faut penser le son, l’image, l’écriture. C’est stimulant, car tout cela nourrit la même envie de raconter la musique autrement. 

Vous parliez du cahier des charges des séries. Vous aimez la contrainte ? 
Oui, je crois que la radio se nourrit de cadre. La matinale, par exemple, impose des temps précis entre les œuvres, mais cette rigueur ouvre plein de possibles. Jean-Baptiste Urbain me disait : « La radio, c’est un média d’habitude. » Les auditeurs aiment retrouver des repères, des voix, des formats. Et à l’intérieur de cette habitude, on peut surprendre. 

Et vos premiers souvenirs de micro à France Musique ? 
Un trac monumental ! Ma première chronique dans Musique connectée de Saskia de Ville portait sur un concert Instagram de Renaud Capuçon : un sujet anodin, mais j’étais tétanisée. Je venais de la presse écrite, il a fallu apprendre le ton radio, la respiration, le sourire. Et puis les premiers mails d’auditeurs sont arrivés… Certains pour corriger une expression (« 22 heures du soir » !), d’autres pour remercier d’une découverte. Ce dialogue immédiat, c’est ce qui m’a fait aimer ce métier. 

Vous présentez aussi des concerts, notamment pour des publics scolaires. Comment abordez-vous ce rôle ? 
J’adore ça. Devant des primaires ou des collégiens, on doit sans cesse ajuster le discours : donner quelques mots nouveaux, mais toujours relier à quelque chose de concret. Je compare souvent un tempo ou un mouvement à une chanson qu’ils connaissent. Cela m’oblige à rester dans le présent, à écouter ce qu’ils écoutent. C’est une autre manière d’apprendre à parler musique simplement — et c’est, au fond, la même mission qu’à la radio. 

Propos recueillis par Christophe Dilys 

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Titre
Suzanne Gervais