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Santons tous en chœur !

Publié le ven 05/12/2025 - 14:15
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Un village provençal reproduit avec des santons provençaux © DR
Un village provençal reproduit avec des santons provençaux © DR
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Tambourins, pastorales et airs d’antan résonnent sous la lumière du Midi : la Maîtrise de Radio France voyage au cœur des traditions de Noël en Provence. 

 « Il faut méditerraniser la musique », assurait Nietzsche à ses contemporains en les invitant à suivre Bizet plutôt que Wagner. Fallait-il alors pousser le voyage jusqu’à l’Andalousie de Carmen dans la mesure où le soleil brillait aussi sur la Provence de l’Arlésienne ? Si le mélomane réduit trop souvent la musique provençale aux danses du tambourinaire, n’oublions pas qu’il y a là-bas moins de tambourins et de galoubets que de cymbales, puisque c’est ainsi qu’on appelle les membranes entomologiques à l’origine du gazouillis des cigales. Et si l’art de la stridulation est réservé aux mâles, n’oublions pas non plus qu’en Provence, au Moyen Âge, on pouvait se faire la cour en musique, qu’on fût homme ou femme, troubadour ou trobairitz. Certes, il convient de se méfier de certaines habitudes et de ne pas trop se livrer à l’exagération du parler marseillais. Aussi nous méfierons-nous de l’Essai sur la musique ancienne et moderne de J.-B. de La Borde, selon lequel le violoncelle aurait été inventé au début du XVIIIᵉ siècle par un certain Père Tardieu de Tarascon, frère d’un célèbre maître de chapelle provençal, et qui aurait acquis une fortune prodigieuse grâce à son nouvel instrument. Mais n’oublions pas que la France doit son deuxième prix Nobel à Frédéric Mistral, grand défenseur des tambourinaires contre l’invasion de bien peu typiques fanfares. 

C’est bien sûr dans les livres et au théâtre que les musiciens ont puisé leur inspiration provençale. Quelques années avant que Bizet n’accompagne L’Arlésienne de Daudet, Gounod s’est ainsi emparé de la Mireille de Mistral. Il y avait dans sa partition toute la Provence, la fête de la Saint-Jean et la farandole qui serpente devant les arènes d’Arles, les paysages secs de la Crau, les vieilles légendes de lutins et de farfadets, les prières aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Quelques années plus tard, les deux poètes sont même réunis dans la Sapho de Massenet, puisque Daudet n’a pas manqué d’y citer une chanson de son aîné, « O Magali », justement empruntée à Mireille. Nous sommes alors rue d’Amsterdam à Paris, dans la chambre de Jean, et c’est l’occasion de rêver d’une aubade « de tambourin e de viouloun ». Pourtant, la Provence n’occupe peut-être pas la place qu’elle mérite dans l’histoire de la musique. Bien que le régionalisme du XIXᵉ siècle lui ait permis d’inscrire ses mélodies dans les recueils d’airs et de chansons populaires, force est de constater qu’elle n’a pas inspiré à Canteloube ses Chants d’Auvergne, ni à Séverac ses plus célèbres pièces languedociennes. De d’Indy, le Diptyque méditerranéen n’a pas eu le succès de la Symphonie « cévenole », et cela malgré les magnifiques lumières de l’Estérel. Serait-ce là la faute à Giono qui, cherchant dans la musique ce qu’il était lui-même en littérature, plaçait le baroque au-dessus du folklore ? Pagnol aussi aimait Bach, mais cela ne l’a pas empêché de s’entourer de musiciens. Pour son adaptation cinématographique de Regain, c’est à Honegger qu’il a fait appel. Pour Topaze, à Vincent Scotto puis à Raymond Legrand. Pour Les Lettres de mon moulin, à Henri Tomasi, probablement le plus provençal de tous. 

La musique, voici une belle façon d’échapper aux frimas de la capitale. N’a-t-elle pas permis à Darius Milhaud, natif d’Aix-en-Provence, de se chauffer à la « cheminée du Roi René » en profitant, comme le roi d’Anjou, du soleil généreux de sa région ? Certes, le compositeur semble avoir teinté son Carnaval d’Aix et sa Suite provençale d’une effervescence très brésilienne, mais il n’en a pas moins clos sa Suite française sur un hommage à la Provence. Et puisque les fêtes approchent, rappelons qu’il y a en Provence les plus jolies crèches. Selon Mistral, « de petits théâtres mécaniques fort bien faits où l’on représente les Noëls de Saboly, dont les personnages sont mis en scène, chantent eux-mêmes leurs refrains accompagnés par un clavecin. On y voit aussi dans le décor de fort jolis paysages, composés par des artistes d’Aix, avec un goût exquis, pourvu que l’on ne s’arrête pas à l’anachronisme. » Henri Tomasi n’a jamais oublié les noëls de son enfance. Ni le son de l’harmonium qu’il tenait à l’église, ni le « grand gueuleton après la messe de Minuit » avant d’assister, le lendemain, à la pastorale avec santons et bergers. N’attendons plus et, à notre tour, partons au Sud. En cas de doute sur la route, il suffit de suivre les rois en écoutant Bizet : « De bon matin j’ai rencontré le train, De trois grands Rois qui allaient en voyage… » 

François-Gildas Tual

 

Marie-Noëlle Maerten

Titre
Hiver provençal / Maîtrise de Radio France

Sous-titre
11 décembre 2025
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