3 questions à Abd Al Malik

Abd Al Malik, qu’est-ce que la musique pour vous ?
C’est la manifestation du beau. Tous les jours, nous expérimentons des émotions contradictoires, et soudain une force leur donne du sens, crée une harmonie. Pour moi, le beau se manifeste par quelque chose d’instinctif, une forme de pureté sincère, que je peux entendre dans tous les styles de musique. Lorsque cette sincérité n’est pas présente, je le sens. Les genres possèdent chacun leur singularité, mais rejoignent un tout, de même que chaque être humain, singulier, fait partie de la communauté humaine. L’humanité, comme la musique, est en partage. Parce que je suis plongé dans le monde, mon art consiste aussi à manifester les contradictions, les imperfections que je perçois en lui. Si le rap me permet de donner à entendre une contestation, ce n’est pas pour rien ; il vient d’une volonté profonde de changer le réel, mon environnement. Très vite vient l’évidence que pour changer ce qu’il y a autour de moi, je dois changer ce qu’il y a en moi, avec l’idée que ce travail intérieur, cette recherche d’harmonie, d’équilibre, se manifesteront ensuite à l’extérieur. Si mon extérieur est chaotique, ce n’est que le miroir de mon chaos intérieur : la musique nous renvoie toujours à ce constat-là. Comme Dante, il nous faut traverser notre Enfer pour connaître notre Paradis.
Pour vous, la musique s’apparenterait donc à un art de vivre ?
C’est dans la pratique de la musique que se trouve l’art de vivre, car celle-ci renvoie au besoin d’une discipline personnelle. Apprendre la musique et, plus tard, se définir en tant qu’artiste demande une certaine attitude ; que ce soit dans un rapport traditionnel à la musique, l’apprentissage d’un instrument, le solfège, un lien maître-disciple, on trouve toujours la nécessité d’une rigueur, et celle-ci finit par imprégner notre vie quotidienne. Dans toute chose il y a des sens cachés qui nous sont révélés par la pratique. De même, il y a en soi des zones non-visitées. On est une sorte d’infini. Sur le chemin de cette quête – car pratiquer renvoie à l’idée de chercher – on découvre de nouveaux organes, de nouveaux sens. Cela nous ouvre l’œil du cœur.
Est-ce enfin pour vous une manière de dialoguer avec la mort ?
Je trouve étrange de séparer vie et mort. Pour moi, la mort fait partie intégrante de la vie. Accepter la finitude de l’existence, c’est vivre pleinement, c’est se donner la possibilité d’être, avec les autres comme avec nous-même, au présent. Parler de la mort, l’écrire, l’étudier, la chanter, comme dans les danses macabres, c’est célébrer la vie. C’est un tout ; il n’y a rien à dompter ni rien à accepter inconditionnellement. C’est simplement une manière de considérer qu’il y a un début, un milieu, une conclusion ; mais est-ce véritablement une fin ? Lorsqu’on joue une œuvre qui est une danse de mort, tous ensemble, on participe à une célébration de la vie.
Propos recueillis par Gaspard Kiejman