3 questions à… Agnès Desarthe

Enfant, quelle mélomane étiez-vous ?
Petite, j’avais une pratique quasi-quotidienne de l’écoute de la musique. Je n’étais pas du tout un enfant de conservatoire, comme on voit certains, portant leur sac de partitions sur le dos, qu’il neige ou vente. J’écoutais par pur plaisir. Je choisissais toujours les mêmes disques, généralement du Bach ou du Vivaldi, et je les écoutais comme si je mangeais un gâteau, comme si je regardais un dessin animé. La musique est ensuite devenue une partie importante de ma vie d’adulte, puis de mère. Pour cette adaptation de La Petite Sirène, je pensais au départ me cantonner au texte, mais l’équipe de Radio France m’a permis de m’investir aussi dans la programmation musicale et j’ai eu la chance de partager quelques œuvres que j’aime. Il était poignant de parler de cette créature qui perd sa voix, en accompagnant son histoire à l’aide d’un chœur.
La Petite Sirène fascine depuis longtemps lecteurs, spectateurs et créateurs. Pour cette adaptation, comment avez-vous procédé ?
J’ai souhaité ici retourner aux racines de la Petite Sirène, dans la vie de l’auteur lui-même, ce qui était très émouvant. Andersen est l’un de mes auteurs favoris, et on peut reconnaître dans son autobiographie – sobrement intitulée Le Conte de ma vie ! – les germes de toutes ses œuvres. Il me semble que les contes tombent encore plus rapidement dans le domaine public que les autres textes et que leurs auteurs deviennent presque des anonymes, ce qui représente en réalité une consécration absolue. La question de l’âme est centrale dans La Petite sirène : les sirènes sont des créatures sans âme, ce qui signifie qu’on les soupçonne d’être également sans cœur. Dans mon adaptation, toutes les filles sont muettes depuis une malédiction ancestrale, et donc le plus souvent éliminées à la naissance. Ces thèmes font écho à une certaine condition féminine dans différentes zones du globe où les femmes n’ont pas le droit à la parole ni à grand’chose, tout simplement.
Un conte possède-t-il une musicalité plus forte que d’autres formes littéraires ?
Les contes s’adressent à des individus – souvent des enfants – qui ne savent pas forcément lire ; ils seront donc probablement lus à haute voix. Cette donnée oriente l’auteur vers une attitude attentive vis-à-vis de la musicalité du texte, et à développer un intérêt pour le rythme. Les auteurs travaillent ainsi sur l’itération et l’allitération puisqu’ils savent, ou en tout cas espèrent, que ces techniques vont charmer l’oreille de l’enfant et maintenir son attention. Tout cela crée un système de refrains et de couplets, donc un système proche de celui d’une chanson. J’ai toujours dans mon esprit l’idée que le texte doit pouvoir être doux à entendre. La musique est donc, pour moi, au cœur de l’écriture et de la lecture. Quand on lit Andersen, on est frappé par son sens de l’épure. Il y a beaucoup de péripéties, mais c’est très court sur la page. Il n’y a pas de digression ; c’est fort tout le temps.
Propos recueillis par Gaspard Kiejman