3 questions à Camille Pépin

On m’a demandé d’écrire une œuvre pour un ensemble spatialisé en rapport avec la Russie et Stravinsky. J’ai choisi d’abord un effectif de 12 instruments que j’affectionne : 2 violons, 2 violoncelles, 2 clarinettes, 2 cors, 2 trompettes, marimba et vibraphone. Ensuite, en lisant des poèmes de Pouchkine, j’ai été frappée par quatre vers d’un chant Tatar :
Ainsi la lune sur la rose,
Que la pluie alourdit encore,
Répand sa mystique lueur,
Avant les clartés de l’aurore.
Puis la pandémie a surgi cet hiver. Passé l’angoisse due à son apparition dans notre monde, je pense que le confinement a permis à beaucoup de gens de se recentrer sur l’essentiel. Pour ma part, ma vie quotidienne est très simple : je compose tous les jours à la maison, coupée du monde. Je suis donc habituée à l’isolement et le confinement n’a pas été difficile pour moi. Libérée des contraintes du monde extérieur, j’ai même pu me concentrer davantage sur mon travail, me poser plus de questions, élargir mes envies. Mais le confinement m’a aussi fait sentir le manque de mes interprètes : ceux qui font voyager ma musique. Sans eux, nos partitions ne sont que du papier dans un tiroir.
Vos œuvres s’inscrivent-elles dans une tradition spécifique, depuis Debussy jusqu’à Steve Reich ?
Je ne me sens pas la mieux placée pour répondre à cette question ! J’ai été influencée par le courant répétitif américain, l’impressionnisme français, la musique des Ballets russes, et j’ai étudié l’orchestration auprès de compositeurs français. Ce dont je suis (presque) sûre, c’est que ma musique s’inscrit dans une tradition française par son orchestration. Ce sont les couleurs et les alliages de timbres qui m’inspirent. La création d’une atmosphère me vient par la couleur, la lumière, la texture. D’ailleurs, je puise souvent mon inspiration dans la peinture, la nature, la photographie… ou encore les images créées par les mots. Une impression ou une sensation qui se transforme ensuite en matière sonore ! Je ne me réveille pas du tout avec des notes dans la tête le matin que je couche ensuite sur le papier !
Comment concevez-vous le métier de compositrice aujourd’hui ?
Je pense qu’aujourd’hui, les créateurs s’expriment à travers leur art par nécessité intérieure. C’est un exutoire et un refuge contre les horreurs qui assaillent notre monde. Il y a de la place pour toutes les esthétiques et il est important que notre période représente cette richesse. C’est une chance que nous puissions tous nous exprimer car je pense que nous écrivons comme nous sommes et que l’on se nourrit de l’autre. Enfin, les œuvres des compositrices doivent être jouées pour leur qualité musicale et non parce qu’elles ont été écrites par des femmes. C’est la même chose pour la musique contemporaine : on doit la défendre par amour et par conviction et non parce qu’elle est écrite par des compositeurs vivants.
Propos recueillis par Christophe Corbier