3 questions à Stéphane Lerouge

Spécialiste de la musique à l’image, co-auteur avec Michel Legrand du livre de souvenirs du compositeur J’ai le regret de vous dire oui (Fayard), Stéphane Lerouge évoque une figure éclatante à laquelle Radio France consacrera trois concerts, les 24, 25 et 26 janvier.
En 1975, Michel Legrand écrit la musique du film La Rose et la Flèche avec Sean Connery et Audrey Hepburn. Pourtant, le réalisateur, Richard Lester, en utilise une autre, commandée à John Barry. Mais la version de Michel Legrand sera interprétée le 24 janvier : une façon de surprendre le public ?
Oui, c’est un pas de côté. Radio France va restituer Michel Legrand dans sa pleine dimension : trois concerts pour mieux rendre compte de ses différents visages. Sur les sujets historiques au cinéma, il répétait souvent : « Musicalement, face à un film en costumes, il faut à la fois courtiser l’époque et lui tordre le cou. » Ça a été le cas sur La Rose et la Flèche, avec un double concerto pour violon et violoncelle, d’un langage radical. Le refus de Lester a été une blessure objective pour Michel Legrand : il considérait cet ouvrage comme l’un de ses plus personnels, tant le thème du vieillissement des mythes l’avait inspiré (celui de Robin des Bois, ici). Malheureusement, il n’a jamais pu diriger cette partition au concert. La faire vivre, enfin, est une façon d’être fidèle à sa mémoire.
Toujours parmi les inédits, nous pourrons écouter la dernière partition de Michel Legrand : la musique de The Other Side of the Wind, film testament d’Orson Welles… sorti des brumes des années 70 mais finalisé l’an dernier. Comment a-t-il vécu cette expérience particulière ?
La collaboration entre Orson Welles et Michel Legrand date de 1973, avec Vérités et Mensonges. The Other Side of the Wind avait été tourné mais jamais monté… Netflix a co-financé sa finalisation en 2018. L’un des carnets de Welles a révélé la mention : « Call Michel Legrand for the music. » Consigne respectée… avec quarante-cinq ans de retard ! En janvier 2018, Michel a expérimenté une situation inédite : travailler sans réalisateur à ses côtés. Il avouait avoir la sensation d’inverser le cours du temps, comme un dialogue, déjà, avec l’après-vie. Malgré la fatigue, il a écrit sa partition en un marathon d’un mois. En présentant le film à la Cinémathèque française en novembre 2018, Michel a eu du mal à contenir ses larmes.
Le 25 janvier, seront à l’honneur les compositions jazz de Michel Legrand. Le compositeur rencontre le jazz moderne en 1948, à seize ans. Comment ce choc va-t-il influencer sa musique ?
Au Conservatoire de Paris, l’enseignement de Nadia Boulanger et Henri Challan a marqué au fer rouge le jeune Legrand. Adolescent, il connaissait le jazz de tradition et le swing, jusqu’au séisme du concert de Dizzy Gillespie salle Pleyel en février 1948 qui ébranle ses convictions, voire son identité. Devait-il devenir symphoniste ou boper ? Il va faire un choix, celui de ne pas choisir. À ce jour, il demeure le seul musicien français à avoir été interprété par Miles Davis, Bill Evans, Stan Getz, Sarah Vaughan. Le concert jazz de Radio France va illustrer ce territoire du continent Legrand pour mieux perpétuer l’image d’un musicien de la jeunesse et de la modernité.
Propos recueillis par Gabrielle Oliveira Guyon