Benjamin François : « Je ne feindrai pas l’orgasme pour l’auditeur »

Racontez-nous vos premiers contacts avec la radio.
Je suis musicien : organiste, chef de chœur, et j’ai été chef de l’ensemble Fiori Musicali. Je me suis occupé des volets baroque et classique d’une petite saison de concerts à Marcq-en-Barœul près de Lille. Suite à ça, j’ai reçu un coup de fil de France Bleu Nord qui m’a informé que la personne en charge de l’émission de musique classique de la chaîne partait. Et sans avoir fait de radio, tout en étant un fervent auditeur de France Musique et tout en enseignant l’histoire de la musique aux étudiants de Roubaix, j’ai commencé à faire une émission de deux heures le dimanche, de 2002 à 2004. Je faisais de la programmation musicale, de la diffusion de concerts et des reportages réalisés par mes soins. Nous étions en partenariat avec l’Orchestre national de Lille et l’Atelier Lyrique de Tourcoing pour capter une dizaine de concerts par an, avec une équipe de techniciens passionnés de musique, qui disposaient de peu de matériel. Et puis, un jour, je me suis présenté à Paris avec une pile d’enregistrements, et j’ai dit à Pierre Bouteiller, le directeur de l’époque, que je voulais travailler à France Musique.
La présentation de concerts fait donc partie de vos premiers exercices. Avez-vous consciemment changé de façon de faire depuis 2004 ?
Je ne dirais pas « changer » mais « évoluer ». Quand j’ai commencé à présenter des concerts, le samedi matin entre 9h et 11h, je faisais ce qui aujourd’hui passerait pour des « tunnels » : des présentations d’une dizaine de minutes sur les œuvres, ce qui était monnaie courante. Maintenant, et je trouve ça mieux, la parole est plus dynamique. Dans les couloirs, nous disparaissions derrière les piles de bouquins ; nous étions tout le temps fourrés à la bibliothèque. Sur deux heures, il fallait fournir une demi-heure de parole, ce qui demandait énormément de travail.
Vous n’êtes pas nostalgique de cette période ?
Je trouve très bien aujourd’hui que nous soyons centrés sur l’auditeur et ses habitudes d’écoute : nous sommes conscients des conditions dans lesquelles notre parole est reçue. Tout propos redondant ou didactique est moins présent. Je recevais par la poste du courrier d’universitaires qui me reprenaient gentiment, et j’ai su me nourrir de cette présence continuelle par-dessus mon épaule : c’est pour cela qu’aujourd’hui encore, mes micros restent soigneusement écrits, même s’ils sont plus concentrés.
Faut-il être musicien pour présenter un concert ?
Je m’adapte à ce qui peut se passer sur le moment. Ma formation de musicien me permet d’être présent et lucide. Être à la fois musicien professionnel et producteur à la radio n’est peut-être pas la solution (comment rester objectif quand ce sont les collègues qui jouent ?), mais il me semble très important de conserver une pratique artistique quand nous sommes à l’antenne. Nous avons tellement respiré l’oxygène de ce milieu que nous savons comment il fonctionne : je le comprends, et je peux ainsi présenter mes micros en fonction de ce qui s’est bien ou mal passé durant le concert. Je ne feindrai pas l’orgasme pour l’auditeur. Jamais. Même quand le concert est exceptionnel. Par contre, quand la musique ne « vient pas », je ne compenserai pas. Je la joue discrète, je montre profil bas, et l’auditeur saura que j’ai trouvé le concert un peu en dessous.
Comment interrogez-vous le musicien à l’entracte quand le concert s’est mal passé ?
On peut tout simplement moins parler de comment ça s’est passé. On peut parler de l'œuvre, orienter les questions sur d’autres sujets. Cela m’est arrivé de présenter des concerts acceptables techniquement mais musicalement fades : le musicien se sent suffisamment penaud de toute façon. Quand les musiciens sortent de scène déprimés, je ne feins pas l’enthousiasme devant une musique corsetée et métronomique, et j’en profite pour parler avec lui, devant les auditeurs, des difficultés et des avantages de l'œuvre.
Propos recueillis par Christophe Dilys