Jocondes du XXe siècle

La liste des créations effectuées par l’Orchestre Philharmonique de Radio France est impressionnante. De Messiaen à Zavarro, il n’a jamais cessé de promouvoir la musique de son temps. Sans remonter à l’avant-gardiste Arcana (1927) de Varèse ou à la néo-classique Symphonie en trois mouvements (1945) de Stravinsky, l’extraordinaire éclatement stylistique du second XXe siècle sera également mis en valeur par le Philhar cette saison. Quoi de plus contrasté dans les années 50 que Troilus and Cressida (« opéra belcantiste » selon Walton lui-même), les Oiseaux exotiques que Boulez commanda à Messiaen pour son Domaine musical, ou les Métaboles de Dutilleux dont le manuscrit est désormais un « trésor national » conservé à la BnF ? Si dans la décennie suivante, le nom de Ligeti s’impose au monde entier (voir notre encadré), l’Américain Walter Piston, jadis élève de Nadia Boulanger (une des « vedettes » de la saison) et de Dukas, se détourne alors de Schönberg qui l’avait inspiré, pour développer un langage plus tonal à partir de son Prélude symphonique.
Viennent alors les fascinantes années 70 ! Les boucles de « musique continue » dans Shaker Loops de John Adams forment une des œuvres les plus libres du minimalisme américain. La notion de musique répétitive est alors partagée, dans un environnement plus spirituel, voire plus sacré, par des compositeurs soviétiques comme Sofia Goubaïdoulina, qui dans son Offertorium déconstruit le thème royal de L’Offrande musicale de Bach. Quelle chance de retrouver cette œuvre sous l’archet de son dédicataire Gidon Kremer ! À Paris, Claude Vivier (« le compositeur le plus important de sa génération », selon Ligeti) vient de composer Lonely Child, « long chant de solitude » sur l’enfance perdue de ce merveilleux musicien, qui fut assassiné à l’âge de trente-quatre ans. Le thème de la mort traverse précisément les Quatre chants pour franchir le seuil de Gérard Grisey, co-fondateur du mouvement spectral, et surtout formidable poète des sons qui s’éteindra peu après ce chant du cygne.
Et aujourd’hui ? Depuis la fin de la Guerre froide, et en ce XXIe déjà avancé, les perspectives de création sont infinies. À l’âge de cent ans, Elliott Carter offre en 2008 à Emmanuel Pahud un Concerto d’une incroyable richesse, que le flûtiste restitue pour nous. Et les modernes ne cessent de revisiter les classiques : Jörg Widmann rend hommage en 2006 à Mozart et aux harmonicas de verre dans son Armonica en apesanteur. De même, Raminta Šerkšnytė, à la demande de Mariss Jansons, cite la Cinquième de Beethoven dans ses incandescents Fires, tandis qu’Olga Neuwirth dialogue avec Mahler, entre fanfares et mélodies klezmer, dans Masaot/Clocks without hands, et que Guillaume Connesson donne un titre digne de Couperin à son Tombeau des regrets.
François-Xavier Szymczak