Liza Lim : Les racines de la beauté et les effets du temps

De parents chinois, Liza Lim est née en 1966 à Perth en Australie. Elle a grandi à Brunei et a étudié la composition avec Richard David Hames, Riccardo Formosa et Ton de Leeuw à Melbourne et Amsterdam, études couronnées par un doctorat en philosophie à l’Université du Queensland. Une interculturalité qui se reflète aussi bien dans sa personnalité que dans sa manière de composer. C’est dans ce domaine qu’elle conjugue idéalement des influences culturelles éclectiques à première vue disparates, mais dont certains thèmes (l’obsession chamanique, le brouillage des frontières entre mondes humain et animal, temporel et spirituel, présent et éternité) traversent la totalité de son œuvre.
La question de l’interculturalité est centrale dans votre œuvre : comment combinez-vous l’esthétique de la musique contemporaine occidentale avec d’autres référents, notamment les musiques chinoise, japonaise, coréenne, que vous citez souvent, jusqu’au paysage sonore des aborigènes d’Australie ? Speak, Be Silent en est-il un prolongement ?
L’interculturel, les racines de la beauté, les effets du temps dans l’Anthropocène et le souci écologique sont des préoccupations constantes dans ma pratique artistique. Je m’intéresse aux questions qui émergent des ruines dévastées du capitalisme, sans jamais se fondre dans un illusoire progrès héroïque, mais s’insérant plutôt dans un « devenir » symbiotique avec le monde qui entend sa résilience. L’interculturalité qui m’intéresse réside dans la compréhension du temps et du flux du son. Ainsi, la première partie de mon concerto travaille sur l’intonation : l’ensemble s’accorde, puis le violoniste entre et se joint à eux. L’accord ne précède pas, mais fait en réalité déjà partie de l’œuvre. Son origine est à rechercher dans les traditions, comme la musique indienne où l’ouverture d’un raga est toujours une question de réglage. C’est un accord des esprits profonds et de la physiologie des musiciens, qui suit l’asymétrie des motifs provenant du langage, mais sans jamais citer aucune de ces musiques.
Comment les préoccupations éthiques de votre pratique artistique se retrouvent-elles dans votre concerto pour violon ?
De toute évidence, les artistes et les compositeurs réfléchissent de plus en plus sur la crise existentielle à laquelle nous sommes tous confrontés. Ma musique traite très directement des aspects relevant de l’extinction des espèces, de la pollution par le plastique et de l’effondrement du genre humain. Mais je pense qu’il y a un cadre plus large de la pensée écologique dans lequel tout est profondément relié. Par exemple, la pandémie de covid ou des événements affectant une partie du globe exercent directement leur impact sur notre vie quotidienne. Ce sens du lien écologique est une idée fondamentale qui traverse ma musique, comme la déformation esthétique et émotionnelle de l’Anthropocène, et la façon dont nous vivons le temps de manière complexe. Pensez aux événements mondiaux qui s’accélèrent de manière dramatique ou bien stagnent lors des confinements ! Toutes ces expériences et textures temporelles m’intéressent en tant que compositrice puisque le temps est la donnée principale sur laquelle je travaille. C’est une esthétique de l’étrange, avec tous les aspects écologiques qu’elle comporte. (…)
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Benjamin François
Vous pourrez retrouver l’intégralité de cet entretien dans le livre-programme du festival Présences 2022.