L’ombre portée d’Olivier Messiaen

Si l’on veut bien se pencher sur l’itinéraire du compositeur Messiaen, on se rend compte qu’il fut aussi organiste. Dès 1928, le jeune compositeur de vingt ans écrit Le Banquet céleste, première œuvre importante pour orgue, que suivront notamment Les Corps glorieux, dont on pourra entendre un extrait le 11 février prochain sous les doigts de Thomas Ospital. Et dès 1931, le voici nommé organiste de l’église de la Trinité, à Paris, où il officiera pendant plus de soixante années. Officier à l’église, c’est aussi bien sûr improviser, à l’instar, aujourd’hui, d’un Thierry Escaich à Saint-Étienne-du-Mont : « J’aime mon orgue ! Il est pour moi un frère, un fils, et je serais désespéré de m’en séparer ! », s’exclamait volontiers Messiaen. Qui ajoutait, en réponse à ceux que déroutaient ses improvisations : « (Ils) attendaient de moi une musique douceâtre, vaguement mystique et surtout soporifique. En tant qu’organiste j’ai le devoir de commenter les textes propres à l’Office du jour. (…) Prenons simplement le Psautier : croyez-vous que le psaume dise des choses vagues et douceâtres ? Le psaume hurle, gémit, rugit, supplie, exulte et jubile tour à tour. »
Oiseaux virtuoses
Messiaen, si l’on excepte l’orgue, n’a pas mené une grande carrière d’instrumentiste, même s’il éprouvait une dévotion pour les concertos de Mozart que sa seconde épouse, Yvonne Loriod, interprétait avec bonheur. Il lui arriva toutefois de jouer avec cette dernière et de se faire à l’occasion l’interprète de sa propre musique. C’est ainsi qu’ils créèrent ensemble en 1943 les sept Visions de l’Amen, pour deux pianos, dans le cadre des Concerts de la Pléiade.
On ne saurait oublier non plus, si l’on tient au parallèle avec Thierry Escaich, l’activité de professeur qui fut celle de Messiaen : professeur à l’École normale de musique dès 1934 et à la Schola Cantorum jusqu’en 1939, il est nommé en 1941 professeur d’harmonie au Conservatoire de Paris ; il y deviendra professeur d’analyse en 1947 puis professeur de composition à partir de 1966, jusqu’à sa retraite en 1978. On ne compte plus les figures marquantes de la musique de la seconde moitié du XXe siècle qu’il a formées dont certaines, tels
Xenakis ou Levinas, sont inscrites au programme de Présences 2018.
On pourrait aussi s’arrêter sur la manière dont Roger Muraro, fidèle interprète de Messiaen, donne la parole post mortem au compositeur : le 7 février en effet, le pianiste jouera Fauvettes de l’Hérault, une œuvre qu’il a créée au Japon en juin dernier et qu’il a mise au point à partir des esquisses d’un concerto pour piano abandonné par Messiaen au début des années 1960. « Fondée sur des notations d’oiseaux prises dès 1958 dans l’Hérault, l’œuvre révèle de nouveaux chants », explique Roger Muraro. Une question reste entière cependant : à défaut de composer, les oiseaux sont-ils de divins improvisateurs ou les interprètes inspirés d’un chant qui leur est naturel ?
Dominique Tinos