Mécènes et mécénat

Arezzo est une ville d’une beauté sans pareille. « Florence en miniature », comme disent les guides touristiques, elle fut incapable de résister à la puissance de la grande cité toscane, sa voisine, et finit par basculer, à la fin du XIVe siècle, dans le duché des Médicis. Arezzo s’enorgueillit toutefois d’avoir vu naître le poète Pétrarque, des peintres comme l’Arétin ou Vasari, mais aussi Guido, dit « Guido d’Arezzo », moine bénédictin réputé pour avoir inventé la notation musicale au XIe siècle.
Si l’on revient quelques siècles en arrière, on ne peut pas oublier qu’un autre personnage, essentiel dans l’histoire de l’art, a vu le jour lui aussi à Arezzo : Caius Cilnius Maecenas, dont le nom fut francisé en Mécène et, honneur suprême, devint le nom commun mécène que nous utilisons aujourd’hui. Confident d’Octave, qui deviendra l’empereur Auguste, Mécène se fera l’infatigable ambassadeur des artistes comme le figure Tiepolo dans la célèbre toile Mécène présentant les arts libéraux à l’empereur Auguste détenue aujourd’hui par le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Ami de Virgile, c’est ce dernier qui présentera Mécène à l’autre grand poète latin du premier siècle avant Jésus-Christ : Horace.
Ses activités politiques et les guerres civiles lui permettent de réunir une fortune considérable, de produire du vin et de continuer de soutenir les artistes. Certains, dit-on, se moquaient du raffinement excessif avec lequel Mécène menait sa vie, mais Virgile et Horace rendent hommage dans leurs écrits à la manière dont il fut le bienfaiteur des arts au sein d’un empire romain pour lequel l’héritage grec, déjà, paraissait indépassable.
Le pape, la salière et le tsar
Mécène ne fut pas oublié au fil des âges puisque son nom devint en 1526 un nom commun incorporé à la langue française. Cette année-là, certes, François Ier est retenu prisonnier à l’issue de la défaite de Pavie, mais c’est l’époque où les arts, en France et ailleurs, connaissent un épanouissement que l’on baptise habituellement du terme de Renaissance. Il s’agit de prendre modèle sur les cités italiennes qui, depuis deux ou trois siècles déjà, rivalisent de luxe et de puissance. L’exemple des Médicis, à Florence, est célèbre, mais n’oublions pas que la banque Médicis fut ouverte dès 1397. La politique, le commerce et les arts ont alors partie liée ; les princes, mais aussi les papes voient quel prestige ils peuvent obtenir en aidant les peintres, les poètes et les musiciens (ah, Jules II et Michel-Ange !). C’est ainsi que naîtra le genre de l’opéra dans les cours princières du Nord de l’Italie (Florence, Mantoue puis Venise). Divertissement luxueux qui fait appel à la culture de ceux auxquels il est destiné et flatte ceux-ci en retour, l’opéra conjugue représentation et prodigalité. La famille Gonzague, la famille Visconti, à l’image de la famille Médicis, puis bien d’autres, vont contribuer de cette manière au prestige des cités italiennes.
Organisée différemment, la France conçoit le mécénat à une autre échelle : celui du roi. On a cité François Ier, qui fera venir Léonard de Vinci à Amboise et commandera une splendide salière à Benvenuto Cellini, mais le nom de Louis XIV vient lui aussi rapidement à l’esprit. Lully, Racine, Molière et bien d’autres sont les protégés de celui que l’on peint sous les traits d’un nouvel Auguste. La construction du château de Versailles marquera les esprits du temps et suscitera bien des imitations. Versailles, qui fait travailler aussi bien les architectes que les décorateurs ou les jardiniers, est un éclatant exemple de la manière dont la décision politique est également féconde sur le plan artistique. D’où cette question : en protégeant les arts, un roi se comporte-t-il en mécène ou fait-il simplement de la bonne politique ? S’agit-il là de deux domaines séparés, ou l’éclat d’une civilisation n’est-elle pas l’objectif premier des gouvernements ? La fondation de Saint-Pétersbourg par Pierre le Grand, qui fera appel à des architectes français et italiens, est un exemple à grande échelle de ce lien inextricable.
La bibliothèque, la messe et le quatuor
Bien des souverains, dans l’Europe éclairée du XVIIIe siècle, suivront ainsi l’exemple de Louis XIV. Catherine de Russie, exemple célèbre, achètera la bibliothèque de Diderot, du vivant du philosophe, tout en lui laissant l’usage de ses livres. Ayons présent à l’esprit que nombre de princes, non seulement protégeaient les arts, mais aussi les cultivaient. Frédéric II de Prusse était flûtiste et compositeur, et la plupart des mécènes de Beethoven étaient eux-mêmes musiciens. Après tout, Mécène était lui-même poète !
C’est à son élève l’archiduc Rodolphe que Beethoven dédia le Trio « à l’archiduc », la Sonate « les adieux » et la Missa solemnis. Quant au comte Waldstein, qui lui aussi se vit dédier une sonate pour piano, il osa s’attribuer la paternité du Ballet des chevaliers du jeune Beethoven ! Le prince Karl Lichnowsky avait la passion presque exclusive de la musique. Il offrit gîte, couvert et domestiques à Beethoven jusqu’en 1796, l’encouragea même à pratiquer l’équitation ; son frère cadet, le comte Moritz Lichnowsky, consacrait une partie de sa fortune à l’entretien d’un orchestre et donnait un concert chaque vendredi dans son palais. Il assura aussi à partir du milieu des années 1790 la subsistance du Quatuor Schuppanzigh, lequel s’installa en 1808 dans le palais du beau-frère de Lichnowsky, le comte Andreas Razoumovski, à qui Beethoven dédia ses quatuors op. 59… et qui lui-même occupait parfois le poste de second violon au sein du Quatuor Schuppanzigh !
Beethoven est l’un des premiers artistes à revendiquer sa liberté de créateur. On ne l’imagine pas appointé comme l’était Haydn au château des Esterhazy. « Il est bon de côtoyer l’aristocratie, mais il faut aussi savoir lui imposer », disait-il en toute simplicité.
Les Médicis, les députés et le roi
Quelques décennies plus tard, à Paris, un Berlioz devra pratiquer le journalisme, faute de pouvoir vivre de son art. Dans la France de Louis-Philippe, trop rares sont les aristocrates qui pratiquent le mécénat. Faut-il compter sur l’État ? Certes, Berlioz reçoit deux commandes du gouvernement (pour son Requiem en 1837 et sa Symphonie funèbre et triomphale trois ans plus tard), mais ce sont là gestes sans lendemain. Il aura cette phrase, en 1844 : « Les Médicis sont morts. Ce ne sont pas nos députés qui les remplaceront. » Et devra donner de nombreuses tournées de concert, notamment en Allemagne, qui lui permettront de croiser la générosité de bien des souverains, du prince de Hohenzollern-Hechingen au roi de Hanovre, et en Russie (la grande duchesse Elena Pavlovna l’invitera personnellement à Saint-Pétersbourg en 1867).
Tchaïkovski, lui, recevra le soutien de la riche Nadejda von Meck (qui aidera aussi le jeune Debussy), à condition qu’il ne cherche jamais à la rencontrer ! Quant à Wagner, c’est grâce à Louis II de Bavière qu’il pourra faire construire le festspielhaus de Bayreuth, après s’être fait un temps aider par le riche industriel Otto Wesendonck.
Au fil des décennies, les États assureront peu à peu le financement des arts et de la culture, notamment en Europe. En Amérique du Nord, la tradition du mécénat individuel et des fondations est au contraire très vivace, et c’est elle qui assure le financement d’une institution comme le Metropolitan Opera de New York. Mais il suffit d’une crise comme celle que nous traversons pour que du jour au lendemain le Met soit dépourvu de ses ressources, et ses équipes régulières (orchestre, chœur, techniciens) privées de leur salaire.
Au cours du XXe siècle, cependant, certaines personnalités ont renouvelé la pratique du mécénat. Winnaretta Singer, plus connue sous le nom de princesse de Polignac (1865-1943), passa ainsi de nombreuses commandes à des compositeurs tels que Stravinsky (Renard), Poulenc (Concerto pour deux pianos, Concerto pour orgue, cordes et timbales), Falla (Le Retable de maître Pierre), etc. Leur demandait-elle d’écrire ce qu’elle-même souhaitait entendre ? Comme le disait en substance Stravinsky, tout l’art est de se faire commander les partitions qu’on a soi-même envie de composer.
La vicomtesse, l’industriel et la fondation
On citera encore la vicomtesse Marie-Laure de Noailles (1902-1970) qui, avec son mari Charles, finança des films de Cocteau et de Buñuel, acheta des toiles de Klee, Matisse, Balthus, des manuscrits de Bataille et Desnos, et fut la familière de nombreux musiciens. Une photographie de 1932 réunit la violoniste Yvonne de Casa-Fuerte, le chanteur Gilbert Moryn, Charles Koechlin, Igor Markévitch, Francis Poulenc, Nora et Georges Auric, Henri Sauguet, Roger Désormière et Nicolas Nabokov dans le jardin de l’hôtel de Charles de Noailles. Rêvons ! Peggy Guggenheim, le marquis de Cuervas ou, plus près de nous, Pierre Bergé, ont continué la tradition du mécénat. La fondation Bru (dans le cadre du Palazzetto Bru Zane, qui abrite le Centre de musique romantique française), aujourd'hui, la perpétue. En matière musicale, on ne saurait négliger, par exemple, le nom de Serge Koussevitzky (la fondation qui porte son nom commanda son quatuor Ainsi la nuit à Dutilleux) ni celui de Paul Sacher (1906-1999), industriel et chef d’orchestre bâlois, qui commanda environ trois cents partitions aux plus influents compositeurs du XXe siècle. On lui doit par exemple la Deuxième Symphonie d’Honegger ou les Métamorphoses de Strauss.
Aujourd’hui, le mécénat s’impose comme une source de financement bienvenue, et l’apport des fondations est à cet égard plus qu’appréciable. À Radio France par exemple, la naissance du second site de la Maîtrise (installé à Bondy) ou celle du portail « Vo!x, ma chorale interactive », ont été rendues possibles avec l’apport du mécénat. Via la Fondation Musique et Radio-Institut de France, peuvent avoir lieu, à la faveur des tournées, des échanges culturels et musicaux qui ne reposent pas seulement sur une série de concerts donnés d’une ville à l’autre : masterclasses, échanges de musiciens avec les formations musicales des pays visités, programmes pédagogiques adressés au plus grand nombre, etc., aident à la transmission des savoirs, à la meilleure connaissance mutuelle des traditions d’interprétation, comme ce fut le cas lors de la tournée en Chine, à l’automne 2018, de l’Orchestre National de France, ou de l’Orchestre Philharmonique avec le China Philharmonic en octobre 2019. L’accès à la musique, le rayonnement du patrimoine et bien sûr la création : on tient là trois clefs d’une action que l’apport du mécénat peut rendre exaltante
Christian Wasselin
Radio France et le mécénat :
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