Musiques de Noël : la cerise sur la bûche !

Le 15 décembre, l’Orchestre National de France célèbrera avec ferveur l’Oratorio de Noël de Bach. Une pépite parmi les chefs-d’œuvre liés à la Nativité.
Si la simple évocation du mois de décembre fait d’ores et déjà saliver certains, c’est que le moment est venu de prêter l’oreille au florilège musical qui entoure les fêtes de la Nativité. Sonnez hautbois, résonnez musettes, le 25 décembre est à portée de traîneau ! Il est vrai qu’à ce jeu-là les impatients n’auront point besoin d’attendre le père Noël pour constater que la hotte est richement garnie. Voilà des siècles en effet que les compositeurs se sont substitués aux anges pour célébrer l’avènement du « divin enfant », enrichissant de leur voix singulière une partition universelle.
Quand le récit évangélique sert de base depuis fort longtemps aux œuvres de l’esprit, la musique n’est, de fait, pas en reste. On ne saurait évidemment s’en étonner, le chant ayant été considéré dès le Moyen Âge comme capable d’exprimer ce que les mots ne pouvaient à eux seuls traduire. Une qualité dont saint Augustin et les Pères de l’Église ne tarderont pas d’ailleurs à tirer le meilleur parti, trouvant dans la pratique vocale un adjuvant puissant de la foi.
Rien de surprenant, donc, à ce que le récit de Noël, en tant qu’événement incontournable du calendrier liturgique, s’invite à la table de travail des musiciens. Emboîtant le pas à Heinrich Schütz, auteur d’une Histoire de la Nativité au milieu du XVIIe siècle, Jean-Sébastien Bach s’acquitte, avec l’Oratorio de Noël, d’une page tout à la fois monumentale et somptueuse. Fruit de six cantates adaptées d’œuvres ou de fragments d’œuvres antérieurs, cette fresque musicale met en lumière les qualités d’architecte du cantor de Leipzig dans sa faculté de construire un ensemble cohérent, que le rapport harmonieux et habile des tonalités ou le choix des timbres servent constamment.
Dix ans ne se sont pas écoulés qu’un second oratorio voit le jour outre-Manche sous la plume de Georg Friedrich Haendel. Devenu un « classique » de l’Avent, on en oublierait presque qu’il fut initialement écrit pour Pâques ! Il est vrai que l’ensemble, porté tout à la fois par un souffle dramatique, un savant équilibre des composantes et un idéal qui, de l’aveu même du compositeur, visait davantage à élever qu’à divertir, s’accommode aisément de cette légère entorse au calendrier. Le public britannique ne s’y est d’ailleurs pas trompé : voilà près de trois cents ans qu’il se lève dès les premières notes de l’Hallelujah, reprenant à son compte le geste du roi George II, ému par une œuvre dont le succès, depuis, ne s’est jamais démenti.
On comprendrait aisément, dès lors, que la main de Berlioz se soit mise à trembler au moment d’esquisser son Enfance du Christ. Ce serait oublier toutefois que l’habit dans lequel le Dauphinois entendait se glisser s’avérait expressément taillé pour lui. À travers cette « trilogie sacrée » destinée au concert, l’artiste s’emploie en effet à cultiver deux versants particulièrement représentatifs de son art, marqué tout à la fois par la musique religieuse et le drame. Le succès qui en résulte est à la hauteur de la voie périlleuse dans laquelle il s’est engagé. Et l’on imagine sans peine quelle fut la satisfaction de Berlioz, à qui le public parisien rendait, par ses applaudissements nourris, ce qui lui appartenait. Si le musicien s’était d’abord amusé, tel un lutin facétieux, à attribuer sa composition à un autre, le mérite éclatant lui en revenait enfin, une fois la critique dupée et le public conquis. Un véritable « miracle » de Noël…
Malheureusement, il est des années plus sombres où l’on cherchera inutilement la lumière de cette nuit de la Nativité, à laquelle Corelli consacrait en son temps l’un de ses plus fameux concertos. La guerre est une nouvelle fois passée par là, sonnant le glas des espoirs d’autrefois et égratignant le sapin, symbole d’une nature indifférente aux morsures de l’hiver. Dans le Noël des enfants qui n’ont plus de maison de Claude Debussy, le temps de la valse légère des Saisons de Tchaïkovski est révolu, comme la joie qui accompagnait la décoration de l’arbre au lever du rideau de Casse-Noisette. L’ombre d’un second conflit meurtrier plane également au-dessus de Benjamin Britten lorsqu’il écrit A Ceremony of Carols sur le bateau qui le ramène d’exil en 1942. On se surprend même à retrouver les thèmes de l’innocence et de la pureté, par ailleurs si chers au compositeur, dans ce cycle de chansons composées sur des textes préexistants.
Formant un creuset fécond où se mêlent couramment le populaire et le savant, l’évocation musicale de la Nativité ne rechigne pas en effet au mélange des genres. Qu’il s’agisse d’une musique vouée au culte à l’instar de la Messe de Minuit pour Noël de Marc Antoine Charpentier, qui emploie des mélodies profanes, ou d’une partition destinée au concert comme l’Arlésienne de Bizet, dont le thème du Prélude est un chant de Noël populaire d’origine provençale, le présent se conjugue au passé. Liszt adoptera la recette à son tour pour son Arbre de Noël, au pied duquel on découvre douze pièces pour piano qui s’appuient là encore en partie sur des musiques déjà écrites.
Quant à l’ « esprit de Noël » qu’on évoque si souvent, il prend en musique une « coloration » particulière qu’on trouvera abondamment sous les traits de la pastorale, dont le caractère bucolique et champêtre ne cessera d’inspirer les musiciens. Présente chez Bach, Haendel et Berlioz, elle s’invite encore dans l’Oratorio de Noël de Camille Saint-Saëns ainsi que chez César Franck ou André Jolivet.
Reste qu’au-delà des constantes inhérentes à la représentation d’un mythe fondateur, c’est avant tout par le biais du « regard » posé sur l’Enfant Jésus – dont Olivier Messiaen tirera un important recueil de pièces pour piano – que ces œuvres nous touchent, comme dans leur volonté de nous donner à « voir l’éternité à travers la fenêtre du temps ». S’il n’est, selon le compositeur finlandais Einojuhani Rautavaara, de « bonne musique » sans cette vision éphémère, reconnaissons que le costume du père Noël importe peu ! N’en déplaise à Santa Claus…
Fabienne Dewaele-Delalande