Qui est Jesper Nordin ?

Jesper Nordin (né en 1971) est un travailleur. Son univers sonore, au carrefour de la musique traditionnelle suédoise, du rock et de la musique improvisée, est défendu à parts égales par de grands orchestres symphoniques comme le BBC Scottish Symphony Orchestra et bientôt l’Orchestre Philharmonique de Radio France, et par les ensembles de musique contemporaine les plus exigeants (le Quatuor Diotima, les San Francisco Contemporary Music Players, etc.). Il semble s’agiter à tous les fourneaux, remportant prix et récompenses, tout en honorant les résidences (P2, la station suédoise de musique classique) et les commandes (de l’Ircam, du ministère de la Culture, mais aussi des radios d’Amérique du Nord).
Iconographiquement, Jesper Nordin est facilement reconnaissable : ça et là, les photographies capturent son visage concentré, et ses mains qui tracent dans l’air des arabesques, lesquelles semblent appeler une réaction musicale de la part de son équipement électro-musical : « Le Gestrument (de “geste” et “instrument”) n’est pas vraiment un instrument. Il s’agit d’une intelligence artificielle musicale contrôlée en temps réel. Je dirais même qu’il s’agit du parfait mélange entre un instrument de musique et une œuvre musicale composée. »
Ce système permet d’accompagner électroniquement l’interprétation d’instrumentistes acoustiques. Héritage de la musique électroacoustique ? Oui, mais… il faut plutôt imaginer une bande magnétique contrôlée en temps réel par un autre interprète. Jesper Nordin a d’ailleurs du mal à se voir comme l’héritier d’une école : « Je m’inspire de la tradition classique et contemporaine, mais je ne me place pas dans une esthétique particulière. Néanmoins je citerais au sein de mes compositeurs préférés Scelsi, Ligeti et Romitelli. Même si j’emporterais plutôt David Bowie sur une île déserte. » Et si vous évoquez devant lui le « minimalisme », il vous répondra que le terme est déjà pris par Reich et Glass, mais qu’il y a effectivement dans sa musique « quelque chose de nordique dans la parcimonie du matériau et la clarté de la forme ».
Une histoire de sphères
Son refus de l’étiquette lui fait revoir le lien avec le public : « Je travaille dans des sphères très différentes, et je rencontre ainsi différents types de publics. La musique transcende le style et le genre, et je suis heureux de recevoir des réactions positives de la part de toutes les personnes touchées… même si au plus profond de moi je sais que je compose pour moi-même en tant que public. » Là encore, les étiquettes se mélangent : entre public, interprète et compositeur. « Quand je suis aux manettes de mon Gestrument, je me vois comme un compositeur en temps réel plutôt que comme un interprète. »
S’il se forme au Royal College de Stockholm et à l’Université de Stanford, c’est en France que Jesper Nordin est devenu Jesper Nordin. « Mes études à l’Ircam et à Royaumont ont été importantes pour moi en tant que compositeur mais aussi en tant que personne, puisque c’était la première fois que je vivais hors de Suède. Il est merveilleux d’être invité et d’être joué en France vingt ans après ! J’adore la vie musicale française, et je suis heureux de pouvoir être une petite partie de son riche éventail de possibilités. »
Christophe Dilys