Sofia Goubaïdoulina, avant-hier, hier et aujourd’hui

Mercredi 25 mai 2022
Sofia Goubaïdoulina, avant-hier, hier et aujourd’hui | Maison de la Radio et de la Musique
Les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France reprennent Quasi hoquetus de Sofia Goubaïdoulina, le 3 juin. L’occasion de revenir sur la vision de l’art d’une compositrice qui, il y a vingt-sept ans déjà, était l’héroïne du festival Présences.
 

Dans les années 70, une femme marche, seule, dans la forêt russe. Sur ses épaules, pèse le poids de la résistance au régime poststalinien. En dehors des modes esthétiques et des provocations politiques, elle tisse sa toile de compositeur, solitaire et fidèle à l’âme russe, libre intérieurement malgré l’ascétisme de la vie quotidienne.

Une décennie plus tard, émigrée à Hambourg, elle aime toujours la nature, le silence, mais aussi l’Orient et les ermitages sans téléphone. Simple et secrète, elle est enfin libre de composer jusqu’à quinze heures par jour, d’inventer sans relâche le bonheur des sons et d’être l’héroïne du festival Présences 1995.

Vingt-sept ans après, Sofia Goubaïdoulina est à l’affiche d’un concert donné par les musiciens du Philhar. Nous republions à cette occasion un entretien qu’elle nous avait accordé et qui n’a rien perdu de son actualité inquiète.
 
Sofia Goubaïdoulina, croyez-vous qu’il existe encore une musique russe ?

Des dons de naissance, liés à des caractéristiques de type national, ne peuvent pas disparaître du fait que l’artiste change de lieu de résidence ou de vie. Mais il est vrai qu’au XXe siècle, il y a eu un processus d’intégration générale des arts et des styles dans le monde entier et que, de moins en moins, on peut parler d’une influence purement nationale.
 
Ne vous sentez-vous pas plus russe, loin de la Russie ?

C’est une impression purement intuitive. Seul l’avenir montrera comment la vie d’un artiste se reflète dans ses œuvres. Je ne suis pas en exil, j’ai toujours la nationalité russe, et j’habite l’Allemagne comme une étrangère. Mais je suis libre de choisir d’habiter Moscou en ville ou l’Allemagne à la campagne. J’ai dû opter pour un lieu où je peux être productive, c’est-à-dire à la campagne, car je dépends beaucoup de la terre.
 
Pourtant, dans les années 70, vous habitiez à Moscou dans une grande tour de HLM…

Dans les années 70, j’avais la possibilité d’être proche de la nature, parce qu’il y avait les promenades dans la forêt, et c’est dans ces promenades que je trouvais mon équilibre.
 
Qu’est-ce qui était le plus dur à supporter sous le régime soviétique ?

Le manque de liberté. Cette pression idéologique qui conditionnait toute notre existence, je la supportais très mal, mais je peux comprendre qu’aujourd’hui le manque de liberté économique qui touche les artistes en Russie est pire encore. Mon pays vit une crise économique où l’artiste a du mal à rester productif, mais surtout la prise de conscience de l’artiste dans une telle situation est particulièrement douloureuse. Je redoute beaucoup cet excès de douleur en moi et, en 1984, j’ai dû changer mon mode de vie et accepter l’hospitalité de l’Allemagne. J’ai l’impression que la pression idéologique est finalement moins douloureuse que la pression économique. Notre génération a souffert de la pression idéologique, mais du point de vue spirituel la situation n’était pas désespérée. Il fallait vivre très pauvrement, mais on pouvait néanmoins faire ce qu’on avait à faire. On supportait de ne pas entendre ses propres œuvres (et de les mettre dans un tiroir), mais intérieurement on savait qu’il existait une petite couche de la société qui avait besoin de nos efforts artistiques, et on trouvait quand même les moyens de nous adresser à ce cercle de gens. Je pense que c’est une situation que l’on peut surmonter et notre génération l’a fait, comme elle l’a pu.
 
De quoi vit un compositeur qui n’est pas joué ?

Nous vivions de musiques de films.
 
Avez-vous souffert de ne pas entendre certaines de vos œuvres, quelquefois pendant plus de quinze ans ?

Oui, j’en ai beaucoup souffert. Jusqu’en 1983 à peu près, je n’ai entendu que très peu de mes œuvres. On ne les a vraiment interprétées que pendant la perestroïka, à partir de 1985.
 
Quel a été le détonateur, la force qui vous a poussée à consacrer votre vie à la musique ?

Cette force s’est manifestée très tôt, vers l’âge de six ans, alors que nous habitions Kazan. Mais je ne saurais trouver de raison particulière. Si l’on veut parler du choc qui m’a poussée à composer, disons qu’il provient de l’absence d’impression musicale. Ma nature était musicienne et exigeait une activité musicale, alors que je ne trouvais pas le matériel nécessaire à cette activité ; d’où le désir de produire moi-même quelque chose. Dans ma première adolescence, la musique était un moment sacré et j’avais besoin de cette expérience.
 
Notre vie occidentale trépidante ne fait-elle pas perdre le silence, l’inspiration de l’âme russe ?

N’importe quelle grande ville prive l’homme de quelque chose de fondamental, que ce soit Moscou, New York ou Paris. Je trouve d’ailleurs qu’en Occident, on est plus calme qu’en Russie.
 
Avez-vous eu l’impression que votre musique était attendue par vos contemporains, qu’elle correspondait à un besoin ?
Tout dépend du public qui vient au concert ; parfois, j’ai l’impression que les gens ont besoin de la musique que j’écris, mais j’ai aussi des déceptions. Ces dernières années, je rencontre des auditoires qui réagissent très bien. Le compositeur est aidé lorsque les gens viennent lui parler et lui donner un avis bienveillant. À notre époque, cette question est beaucoup plus douloureuse ; il y a tellement de sons dans le monde, de musique partout, qu’il ne reste pas assez de silence dans lequel la musique nouvelle puise percer et grandir.
 
On dit beaucoup que votre musique est très proche de la poésie. Les sons sont-ils pour vous comme des mots ou des images ?

J’aime beaucoup la poésie et j’ai utilisé dans mes œuvres des textes d’époques très différentes : d’un côté, des textes anciens et égyptiens ; de l’autre, des poèmes orientaux du Moyen Âge. Ces temps derniers, je me suis passionnée pour la poésie de T.S. Eliot, et les derniers textes que j’ai utilisés sont de notre poète Genadi Aigi ; il y a dans son œuvre un silence qui a beaucoup de sens, et en même temps est transformé par le rythme. On a l’impression que ce poète a écrit des vers spécialement pour un musicien.
 
Aigi dit : « Le silence, lieu de Dieu. »

Oui, justement c’est ce qui domine.
 
Vous croyez que la musique a un véritable pouvoir sur la musique, sur l’âme ?

Oui.
 
Comment se passe la journée de Sofia Goubaïdoulina ?

En ce moment, je me couche à 23 h, je me lève à 2 h pour me mettre à ma table où j’écris jusqu’à 6 h, puis je me recouche pendant quatre heures, et ensuite je me remets à ma partition jusqu’à 11 h. C’est un peu exagéré, on ne peut pas faire ça trop souvent.
 
Vous cultivez votre jardin, qui ressemble un peu à un jardin japonais. Le Japon, de plus en plus, est comme une seconde patrie pour vous…

En tout cas, le style de vie japonais me plaît beaucoup. J’aime la façon dont les Japonais utilisent l’espace : ils en ont très peu et ils le rendent très grand. Un espace petit par sa taille utilisera toujours la verticale ; de même, les pierres d’un jardin seront disposées afin qu’elles se reflètent dans l’eau, ce qui agrandit considérablement le volume d’un espace restreint : c’est le miracle dont ils sont capables. Comment ne pas en être enchanté ?
 
Propos recueillis en 1995 par Jean-Pierre Armengaud et Christian Wasselin, avec la collaboration de Nina Apreleff (cet entretien a été publié dans le numéro 41 de Mélomane, février 1995, p. 1-3).
 
* Ce concerto a été créé le 18 février 1995 dans la cadre du festival Présences par Pierre-Yves Artaud (flûte) et l’Orchestre National de France dirigé par Charles Dutoit.
 

Écouter Sofia Goubaïdoulina

Chostakovitch, Concerto n° 2, Gluzman / Petrenko

Chostakovitch, Concerto n° 2, Gluzman / Petrenko | Maison de la Radio et de la Musique
Concert symphonique

Orchestre Philharmonique de Radio France

Vasily Petrenko direction
Vadim Gluzman violon
Après le Premier, joué le 22 octobre, voici venir le Deuxième Concerto pour violon de Chostakovitch, dédié lui aussi à David Oïstrakh.
Vendredi03juin202220h00 Maison de la Radio et de la Musique - Auditorium

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