Wagner, un miniaturiste ?

Chaque été, à Bayreuth, sont repris les mêmes opéras : dix partitions, du Vaisseau fantôme à Parsifal, auxquelles il faut ajouter une accidentelle Neuvième Symphonie de Beethoven, interprétée dans l’enceinte du Festspielhaus, en 1951, à l’occasion de la renaissance du festival. Wagner n’a pas laissé d’indication précise concernant le répertoire destiné au théâtre qu’il a imaginé sur mesures pour ses ouvrages : faut-il vraiment s’en tenir aux dix opéras consacrés par l’habitude ? Parsifal est par ailleurs le seul qui ait été écrit après l’inauguration du théâtre, en 1876, c’est-à-dire le seul composé après que Wagner a pu éprouver réellement, physiquement, l’acoustique de la salle. En 1876 en effet, le Festspielhaus fut ouvert avec la Tétralogie, c’est-à-dire L’Or du Rhin et La Walkyrie, dont la première avait eu lieu au Théâtre royal de Munich, respectivement en 1869 et en 1870, suivis de Siegfried et du Crépuscule des dieux, qui furent créés à cette occasion mais furent composés, par définition, avant l’achèvement du Festspielhaus.
Wagner a pourtant composé d’autres opéras : Rienzi (créé à Dresde en 1842), La Défense d’aimer (créée à Magdebourg en 1836), Les Fées (achevées en 1834, créées à titre posthume en 1888 à Munich) et Les Noces (1832-1833, restées inachevées). Surtout, le catalogue WWV (pour « Wagner Werk-Verzeichnis ») comporte 113 entrées, soit treize opéras achevés et une centaine d’œuvres relevant d’autres genres, abondance qui en étonnera plus d’un. Précisons que nombre de ces œuvres sont aujourd’hui perdues.
Faust, Mathilde et Cosima
Comme l’explique le Guide raisonné publié sous la direction de Barry Millington*, « les œuvres non dramatiques (de Wagner) se divisent en deux catégories : les premières pièces, grâces auxquelles il apprit à maîtriser la composition, et les œuvres instrumentales et vocales écrites à différents moments tout au long de sa vie, tantôt en réponse à des événements ou des commandes spécifiques, tantôt simplement par désir de s’exprimer dans un autre médium ».
Parmi les œuvres souvent jouées, on citera bien sûr les Wesendonck-Lieder (1857-1858) et Siegfried Idyll, composé en 1870 pour l’anniversaire de Cosima, la femme du compositeur.
Outre les Wesendonck-Lieder, Wagner a illustré le genre du lied en composant notamment un certain nombre de mélodies sur des textes français signés Victor Hugo (Attente), Ronsard (Mignonne) et même Heine (Les Deux Grenadiers, dans une traduction française du poème original allemand). Et n’oublions pas que Wagner, alors qu’il avait à peine vingt ans, écrivit Sept compositions pour le Faust de Goethe, qui font intervenir plusieurs voix. Ces pages reprennent « Les Paysans sous les tilleuls », la « Chanson de la puce », la Sérénade de Méphistophélès, le poignant « Meine Ruh’ ist hin » que Schubert avait déjà mis en musique, soit au total un ensemble que l’on peut comparer, toutes choses égales par ailleurs, aux Huit Scènes de Faust de Berlioz, antérieures de quelques années.
Wagner écrivit aussi un certain nombre d’ouvertures, dont la plus célèbre est celle de Faust (1840, révisée en 1855), premier mouvement d’une symphonie inachevée. On lui doit également une Symphonie en ut majeur créée à Prague en 1832 et reprise cinquante ans plus tard à la Fenice de Venise pour l’anniversaire de Cosima. Il arrive que ces pages soient inscrite ici ou là dans les programmes de concert.
Madame MW, la célèbre inconnue
Côté piano, Wagner nous a laissé plusieurs pièces dont une Grande Sonate (1832) et une Sonate pour l’album de Frau MW – « madame MW » qui n’est autre, on l’a deviné, que Mathilde Wesendonck, l’auteur et l’inspiratrice des poèmes des Wesendonck-Lieder.
On citera encore la Musique funèbre sur des motifs d’Euryanthe, créée en 1844 à l’occasion du retour à Dresde des cendres de Weber, mort à Londres dix-huit ans plus tôt (il existe aussi un chœur de Wagner intitulé Au tombeau de Weber), une Marche impériale (Kaisermarsch) écrite dans la fièvre nationaliste qui suivit la victoire de la Prusse sur la France en 1871, et quelques œuvres pour chœur et orchestre dont l’allègre Descendons gaiement la Courtille, page composée à Paris en 1841 pour le vaudeville La Descente de la Courtille : on se croirait presque chez Offenbach !
Beaucoup plus sérieux et beaucoup plus développé est Das Liebesmahl der Apostel (« L’Agape des apôtres »), écrit pour le Dresden Liedertafel, chœur d’hommes dont Wagner était devenu directeur en 1843, qu’on préférera au Salut de ses fidèles à Frédéric Auguste le Bien-Aimé à l’occasion de son retour d’Angleterre le 9 août 1844. Et pour l’anecdote, on mentionnera encore une Devise (Wahlspruch) pour le corps des sapeurs-pompiers allemands et un chœur d’enfants intitulé Ihr Kinder, geschwinde, geschwinde (« Les enfants, pressons, pressons »), lui aussi destiné à fêter l’anniversaire de Cosima. L’auteur de Tannhäuser, qui passe pour un monument d’égotisme, savait aussi se faire modeste et familier.
Wagner a également laissé un certain nombre d’arrangements d’œuvres entières (Iphigénie en Aulide de Gluck) ou d’extraits (de Robert le diable de Meyerbeer, par exemple), sans oublier les Suites pour cornet à piston inspirées de différents compositeurs, mises au point à Paris vers 1840, aujourd’hui perdues.
Grands moments ou rogatons, il y en a pour tous les appétits chez Wagner.
Cyril Passereau
* Publié en 1992 en Angleterre, et quatre ans plus tard chez Fayard dans une traduction de Dennis Collins.