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L’adieu à l’Isle de Jean-Charles
Qui aurait imaginé que la première puissance économique mondiale verrait un jour sur son sol des réfugiés climatiques ?
A l'extrémité de la Louisiane, à 130 km au sud de la Nouvelle-Orléans, l'Isle de Jean-Charles sombre peu à peu. Abritant autrefois une école, une église, et jusqu'à 500 habitants, elle est à présent une miette de terre cernée par les eaux du bayou. Réduite à 3km de long sur 300m de large, l'île a perdu 98 % de sa surface depuis 1955. En cause : la montée des eaux, l'érosion côtière qui déchiquète le littoral depuis des siècles, et les ouragans, avec leur lot d’inondations et de destructions, plus fréquents et plus virulents au fur et à mesure que le climat se dérègle. La responsabilité aussi à l'industrie pétrolière et ses 4000 plateformes plantées dans le Golfe du Mexique. Perforé par des dizaines de milliers de kilomètres de canaux destinés à acheminer le pétrole, le sol se fragilise et s’affaisse, précipitant l’engloutissement des terres. La plus grave marée noire de l’histoire du pays, suite à l’explosion du Deepwater Horizon le 20 avril 2010 au large des côtes, n'aura pas pour autant freiné cette exploitation dévastatrice. C’est que la Louisiane, 4ème Etat producteur de brut des Etats-Unis, fournit une grande partie du pétrole consommé dans le pays. En conséquence, dans ces marges côtières du Delta du Mississippi, chaque heure, c'est l'équivalent de la surface d'un terrain de football qui est englouti. L'île campe sur l'une des régions du monde où la disparition des terres est la plus rapide.
Alors, en 2016, sous la présidence de Barak Obama, le gouvernement fédéral a accordé 48 millions de dollars à l'Etat de Louisiane pour reloger la communauté d'îliens restant. Leur destination ? Un champ de canne à sucre, à 70 km au nord. Fin 2022, après six années de réflexions et de travaux ponctués de complications administratives, la parcelle est devenue un lotissement, et les habitants de l'île ont commencé à intégrer leurs nouvelles maisons, toutes cédées gracieusement. La trentaine de foyers ainsi réinstallée constitue la première communauté du pays à bénéficier d’un programme fédéral de relocalisation du fait du changement climatique. En ce sens, ils sont considérés comme les premiers réfugiés climatiques officiels des Etats-Unis.
De 2016 à 2023, j'ai effectué sept séjours à l'Isle de Jean-Charles. Pendant sept ans, j’ai documenté l'exode climatique de ses habitants, des derniers instants passés sur leur terre d'origine aux prémices d’une nouvelle vie sur leur territoire d'accueil. Au fil des ans, je constituais aussi la mémoire d'un lieu et d'une communauté qui n’allaient bientôt plus exister. Aujourd’hui, l'île ne ressemble déjà plus à ce qu'elle était, lorsque j’ai commencé à la photographier il y a sept ans. L’ouragan Ida a dévasté la zone le 29 août 2021. Un coup de grâce pour l’Isle de Jean-Charles.
Sandra Mehl
Crédits :
Une exposition de la Direction de la Musique et de la Création, conçue avec franceinfo dans le cadre de Médias en Seine. En partenariat avec Visa pour l’Image - Perpignan.
Photographies, textes et légendes : Sandra Mehl
Scénographie : Nuits Blanches Studio – Camille Moragues & Samuel Bonnet
Tirages : Initial Labo
Remerciements : Delphine Lelu, Jean-François Leroy, Stéphanie Massa
Chargée de production culturelle : Mélanie Desmarets