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Entretien avec Blanche-Neige : « Le poison, je le porte encore »

Publié le mar 23/09/2025 - 14:30
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Blanche Neige et les sept nains ©AFP - Walt Disney Productions / Collection Christophel
Blanche Neige et les sept nains ©AFP - Walt Disney Productions / Collection Christophel
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À l’occasion d’un concert-fiction inspiré du célèbre conte des frères Grimm, nous avons échangé avec celle qui fut la plus belle du royaume, avant d’être l’une des plus poursuivies. Blanche-Neige nous reçoit dans une pièce immaculée, parfumée de cire d’abeille et de pommes fraîches. Son regard est doux, mais son récit, moins naïf qu’il n’y paraît. 

Blanche-Neige, vous êtes entrée dans l’imaginaire comme l’archétype de l’innocence. Est-ce ainsi que vous vous percevez ? 
Blanche-Neige : On me voit souvent comme une image : celle d’une jeune fille douce, obéissante, un peu passive même, attendant que les événements s’enchaînent. Mais cette image-là, c’est celle que la peur des femmes a voulu graver dans les contes. J’avais sept ans quand j’ai été bannie. J’en ai vu, des forêts ! J’ai appris à survivre, à parler aux bêtes et à ne pas toujours dire ce que je pensais. L’innocence, c’est ce qu’on m’a volé très tôt. 

Votre nom seul évoque la pureté — et pourtant, on vous associe à l’un des poisons les plus célèbres de la littérature… 
Blanche-Neige : La pomme… Elle a tant à dire, n’est-ce pas ? Fruit de connaissance, de désir, de trahison. C’est un baiser empoisonné, mais renversé : je tombe quand je la croque, je me réveille quand elle sort de moi. Dans mon histoire, c’est un heurt, un déséquilibre qui me sauve — pas l’amour. On m’a posée sur un piédestal, et c’est en tombant de ce socle que j’ai repris vie. Le poison, je le porte encore en moi : dans la mémoire, dans la méfiance. Paradoxalement, il m’a rendue plus libre. 

Et ces fameux sept nains ? On vous imagine recluse avec eux, dans une maisonnée pleine de musique et de poussière… 
Blanche-Neige : Ils étaient chacun leur monde. Prof, le plus âgé, me récitait les étoiles comme un moine ses psaumes. Simplet, lui, me faisait rire avec son air toujours ailleurs — c’est avec lui que je me sentais la plus légère. Grincheux m’a coûté des mois d’efforts, mais un jour, il a laissé tomber un tricot en silence sur mes genoux : c’était sa façon d’aimer. Dormeur parlait peu, mais m’écoutait toujours. Timide rougissait chaque fois que je chantais, Joyeux m’a appris à danser. Quant à Atchoum… c’est lui qui pleurait en cachette. Il avait les émotions à fleur de nez.  

Vous qui avez vécu dans le silence de la forêt, que représente la musique pour vous ? 
Blanche-Neige : La musique a toujours été ma seconde peau. En exil, je chantais pour me souvenir de qui j’étais. Et quand le monde me devenait trop hostile, je fredonnais des choses simples, des berceuses inventées. Si je devais choisir un compositeur pour raconter ma vie, ce serait peut-être Debussy – Clair de lune, pour ses brouillards, ses silences lumineux, ses paysages à demi rêvés ? Ou Schubert, pour son cœur fragile. Mais il me faudrait aussi un soupçon de Mahler, pour la grandeur perdue, les marches funèbres et l’ironie douce-amère du monde. 

Et si c’était à refaire ? Si vous deviez raconter vous-même votre histoire ? 
Blanche-Neige : Je dirais moins de robes et plus d’action, moins d’attente et plus d’élan. Je suis restée longtemps figée dans un cercueil de verre, comme une relique sous cloche — mais ce n’est pas un baiser qui m’a réveillée, vous savez. Le prince a voulu m’emmener, et dans le tumulte, la pomme a quitté ma gorge. C’est cela qui m’a rendue à moi-même : une secousse, le hasard. Rien de plus. Le réveil ne vient pas toujours de l’amour — parfois, c’est juste la vie qui trébuche, et c’est très bien ainsi. 

Propos recueillis par Jérémie Rousseau 

Blanche Neige - Illustration : Franz Jüttner / Creative commons

Titre
Blanche-Neige & sortilèges

Sous-titre
Concert-fiction France Culture