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Georges Aperghis, tout un monde présent

Publié le mer 26/11/2025 - 15:00
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Georges Aperghis - Photo : Christophe Abramowitz
Georges Aperghis - Photo : Christophe Abramowitz
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Arrivé à Paris en 1963, Georges Aperghis habite le quartier de la Bastille de longue date. Celui qui se définit volontiers comme un « vieux parisien » – à défaut d'être un vrai – nous reçoit à domicile, au milieu des livres, des instruments de musique, des masques et des marionnettes indonésiennes. Entretien avec le héros de l'édition 2026 du Festival Présences, qui célèbre également son quatre-vingtième anniversaire.

Vous êtes né à Athènes, le 23 décembre 1945. Où habitiez-vous ?

C’était juste après la guerre, pendant la guerre civile. J’habitais au pied de la colline du Lycabette, dans une petite rue, pas goudronnée. Un paradis pour les enfants : il n'y avait pas de voitures. J’ai grandi dans un milieu assez pauvre. Mon père était sculpteur, il faisait de la sculpture abstraite, il ne gagnait pas beaucoup d'argent. Ma mère travaillait à l'aquarelle, comme maquettiste de décoration intérieure dans une entreprise de meubles. Elle faisait aussi de la peinture abstraite.

Avez-vous de bons souvenirs de ce quartier populaire ?

Les maisons n'avaient pas d'étage, ou un seul. Il y avait beaucoup de cours, le soleil passait dans les petites ruelles. Je connaissais tous les voisins. Les fenêtres étaient ouvertes, on écoutait les rires, les engueulades. Ça faisait une espèce de polyphonie, avec du théâtre, des tensions, des détentes. Enfants, on était aimés par tout le monde, on faisait beaucoup de bêtises. J’ai été élevé par ma mère, ma grand-mère et ses trois sœurs, un chœur de cinq femmes ! Mon père était pour moi une espèce de divinité : je le voyais faire des statues, fabriquer des créatures.

Quel a été votre premier contact avec la musique ?

On avait une petite radio, qui passait de la musique classique, des symphonies de Beethoven, de Mozart. Je chantais ce que j’entendais. Mes parents connaissaient une voisine, professeure de piano. Comme on n'avait pas de piano à la maison, ils avaient accepté que j'aille travailler une heure par jour chez elle, elle me donnait des leçons. J'avais cinq ans.

Quand commencez-vous à peindre ?

Je vivais dans l'atelier de mes parents, entre les tableaux, les sculptures, les dessins. J'ai commencé à faire des gribouillis. J'avais quatorze ans, et c’était toujours en écoutant de la musique : les couleurs de la peinture étaient liées aux couleurs musicales. Je ne connaissais pas assez le piano pour pouvoir m'exprimer ; avec la peinture, c'était plus rapide. C'était ma bulle, seul, dans la journée. J'étais libre.

Avez-vous voulu devenir pianiste ?

Non, jamais. Ce qui m’a plu, à treize ou quatorze ans, quand j'ai commencé à jouer pas trop mal, c'était de lire des partitions. Mon père connaissait des gens qui avaient des bibliothèques musicales, ils me prêtaient des partitions ou des opéras piano-chant. C'était le bonheur.

Par la suite, vous étudiez avec un professeur qui s'appelle Yannis A. Papaïoannou.

Il y avait deux Papaïoannou. L’un était architecte, bon musicien, pianiste et musicologue. Il m'a montré des relevés de musique africaine, j'avais onze ou douze ans. L'autre Papaïoannou était compositeur, épigone de Schoenberg, il m’a initié à la musique dodécaphonique. Il ne possédait pas d’enregistrements, j’avais vu les partitions, mais je n'avais aucune idée de comment ça sonnait. Ce que j'ai pu écouter à l’époque, c'était un disque de Varèse, et puis Le Sacre du printemps : Maurice Béjart est venu à Athènes, je devais avoir quinze ans. J’avais aussi entendu une pièce de Xenakis en concert. Xenakis n’était pas présent, c'était un ensemble grec qui jouait. Cette association donnait des concerts, et nous faisait aussi écouter des disques, également des musiques africaines ou asiatiques.

Aviez-vous eu un contact avec la scène théâtrale à Athènes ?

On allait au Théâtre d'Art, c’était le pendant du Théâtre d’Art à Moscou. Karolos Koun était un metteur en scène célèbre, il était le seul à Athènes à jouer Brecht, Tchekhov et des auteurs grecs contemporains.

Vous arrivez en France en 1963. Comment prenez-vous la décision de venir à Paris ?

J'en avais marre de l'école, je voulais faire de la musique. J'avais 17 ans et demi. J’ai choisi Paris parce que j'avais appris le français et je me débrouillais. Mon père adorait la France, j’ai eu son consentement. La première fois, il m'a accompagné. Nous avons pris le bateau jusqu’à Venise, puis le train de Venise à Paris.

Avez-vous un souvenir de votre arrêt à Venise ?

J'étais complètement perdu, la ville est impressionnante ! J'étais à la moitié du voyage : je savais que j'avais quitté quelque chose, mais je ne savais pas ce que j'allais trouver. J'étais angoissé. À Paris, j’ai tout de suite été beaucoup plus calme.

Entretien réalisé par Arnaud Merlin à découvrir intégralement dans le livre-programme du festival Présences

Georges Aperghis - Photo : Christophe Abramowitz

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« Je voulais rencontrer les compositeur »

Quand vous arrivez à Paris, dans quel quartier habitez-vous ?

En face du Grand Rex, rue Poissonnière, sur les Grands Boulevards. Le bureau de L’Humanité faisait le coin. C'était un quartier vivant, même la nuit. J'avais une chambre tout en haut, dans un hôtel qui n'existe plus. J’avais trouvé un arrangement : je gardais l'hôtel le week-end, je m’occupais du standard téléphonique pour les clients, ça payait une partie de la chambre. Je trouvais des petits boulots. Sous le cinéma du Rex, il y avait un dancing de musique brésilienne, où j’ai remplacé un pianiste. J’accompagnais les danses, on finissait à une heure, deux heures du matin. C'était chouette. J'ai aussi accompagné des cours de danse. Plus tard, j'ai commencé à travailler à la radio : je faisais la musique des dramatiques, des pièces de théâtre… Je travaillais avec des réalisateurs avec qui je suis devenu ami, comme José Pivin ou Jean-Pierre Colas, qui montaient des pièces exigeantes.

Vous souvenez-vous des premiers musiciens que vous avez rencontrés ?

Ce sont d’abord des compositeurs. Je téléphonais, j'écrivais des lettres : tout le monde ou presque m'a répondu. André Jolivet m'a donné des conseils sur ce que j'écrivais à l'époque – j'avais 19 ans. Je ne voulais pas aller au Conservatoire. Je voulais rencontrer les compositeurs, c'était orgueilleux ! Par ailleurs, j’étudiais la direction d'orchestre avec Pierre Dervaux à l'École normale de musique. Petit à petit, j’ai rencontré des musiciens qui jouaient la musique de Xenakis, c’était difficile pour eux ! Et j'ai eu la chance de rencontrer quelqu'un dans le train, qui connaissait des gens au Domaine musical de Pierre Boulez. Je n'avais pas d'argent pour aller aux concerts, mais je pouvais assister aux répétitions générales. J’ai écouté presque toutes les générales des années 1964, 1965, 1966… Je me souviens d’œuvres de Messiaen, Couleurs de la Cité céleste, Chronochromie, de Maderna comme le Concerto pour hautbois, ou encore Sur scène de Kagel : c’est la première fois que je voyais du théâtre et de la musique ensemble sur scène. Et puis Stockhausen, Berio…

Aviez-vous une relation privilégiée avec Xenakis parce que vous étiez originaire d'Athènes ?

Je ne sais pas si c'était pour ça, mais on est devenus assez proches. Je m'occupais de ses affaires, je découpais des articles, c’était en 1965-1966. J'ai assisté au premier enregistrement de Metastasis avec l'Orchestre National, avec Maurice Le Roux. Je me souviens des répétitions d’Eonta et du premier concert monographique qui a eu lieu salle Gaveau. J'ai beaucoup appris en répétition avec Xenakis.

Puisque vous avez cité la pièce de Kagel Sur scène, est-ce le déclencheur de votre intérêt pour ce qu'on va appeler le théâtre musical ?

Cette pièce m'a aidé à voir que je n'étais pas seul à élucubrer dans mon coin, que quelqu'un avait déjà ouvert des portes. Mais le théâtre m'avait travaillé avant, car entre-temps j'avais connu ma femme, Édith Scob, qui était actrice. J'ai rencontré des metteurs en Scène, des acteurs, des gens de cinéma, ça m'a ouvert un autre univers. Et aussi les textes d'Antonin Artaud. Tout cela m'a poussé vers une musique d'action plutôt que vers une musique contemplative.

George Aperghis © Radio France / Christophe Abramowitz

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Festival Présences 2026