Le jazz, toute une histoire !
Au Studio 104 comme ailleurs, le jazz est pluriel. Pourtant, ses multiples ramifications semblent issues d’un même arbre. Cette saison de concerts en témoigne : on y entendra autant d’artistes consacrés par l’histoire que de figures stimulées par leurs aînés, autant de relayeurs de talent que de têtes chercheuses.
Parmi ceux qui n’ont plus rien à prouver, le guitariste Marc Ribot continue de surprendre. Le Hurry Red Telephone Quartet nous plonge ainsi dans les mystères libertaires de l’esprit du grand Albert Ayler. François Couturier et Dominique Pifarély réinventent le duo piano-violon avec autant d’ivresse que de tendresse. Avec son trio work in progress, le saxophoniste Eric Barret remet l’ouvrage sur le métier, tandis que son confrère Sylvain Beuf poursuit l’aventure, éternellement « sur la route ».
Née dans les années 1970, la génération suivante entretient un rapport original au patrimoine, qui se manifeste souvent par la tentation de l’hommage, plus ou moins distancié. Là où Christian McBride se situe dans l’héritage de Ray Brown, Médéric Collignon foule les chemins de traverse de Miles Davis pour célébrer son centenaire (06/06). Et si The Bad Plus, Chris Potter et Craig Taborn reprennent le répertoire du quartette américain de Keith Jarrett, c’est pour le transcender (28/03), à l’instar de l’Orchestre National de Jazz qui voit sa nouvelle cheffe Sylvaine Hélary fêter le riche imaginaire de Carla Bley.
Venus au monde trop tard pour avoir connu le jazz des origines et ceux qui l’ont inventé, les quadragénaires se sont trouvé d’autres mentors. Ainsi du guitariste Jakob Bro, qui fréquenta l’atelier new-yorkais du sage Paul Motian. Ainsi du pianiste Sullivan Fortner, adoubé tout jeune par Ellis Marsalis, parrain du jazz à La Nouvelle-Orléans. Ainsi du saxophoniste Jowee Omicil, qui se ressource au flot sacré du rituel haïtien.
Quant aux jeunes pousses, c’est en toute indépendance qu’ils viennent puiser dans le fonds commun, sans s’y noyer. Fascinés par l’idiome du son collectif, entre écrit et improvisé, Delphine Deau et Julien Soro s’en donnent à cœur joie avec The Other Side Orchestra. Les compères de No(w) Beauty concentrent leur énergie vers une tellurique pâte sonore, tandis que le batteur Gautier Garrigue vise l’apesanteur avec « La Traversée ». Et si la chanteuse Ellinoa se joue avec une transparence liquide des frontières poreuses entre le jazz et la musique de chambre, le saxophoniste Immanuel Wilkins rêve tout éveillé d’un jazz de l’avenir, aussi incendiaire qu’un feu de joie.