3 questions à…Ballaké Sissoko

Quels sont vos premiers souvenirs musicaux ?
Mon père était joueur de kora, son père aussi, tout comme le père de ma mère. L’instrument était présent des deux côtés. Notre maison était comme une plateforme : tous les joueurs de kora qui venaient de Gambie, du Sénégal, de Casamance, passaient chez nous avant de partir, disons en Côté d’Ivoire ou en Europe. L’instrument était dans la chambre de mon père ; quand j’avais un moment, je venais le toucher, j’écoutais les gens en jouer, j’essayais de faire la même chose. J’étais à l’écoute ! À l’âge de douze ans, je suis monté pour la première fois sur scène, au Mali. À quatorze ans, je venais de perdre mon père, et selon la tradition, en tant que premier fils, je devais le remplacer à l’ensemble instrumental du Mali. Je faisais de la musique avant tout pour m’occuper de ma famille.
Quel est, aujourd’hui, votre rapport à votre instrument ?
Je joue tout le temps. Mon instrument, c’est mon compagnon ; n’importe où je vais, je l’ai, et quand j’ai un moment, je joue. J’ai une bonne oreille musicale : lorsque j’écoute quelque chose, je peux facilement le reproduire. C’est quelque chose de naturel. Et lorsque quelqu’un joue, je l’écoute attentivement. Cette écoute a construit le musicien que je suis devenu, c’est grâce à cela que j’ai pu jouer avec des musiciens venant de cultures très différentes, comme Vincent [Segall]. On peut dire que ce sont des collaborations, mais pour moi ça dépasse cela. On crée des univers en respectant nos cultures, en essayant de créer quelque chose de continuel, avec des échanges, des réponses, des suites. Je suis très fier de cela. Aujourd’hui, des milliers de personnes me disent « Ballaké, on t’écoute, et ça nous soigne ». J’ai l’impression en effet de soigner les gens, c’est ma priorité, et c’est ce que je veux transmettre.
Le 5 mai prochain, vous créerez un concerto pour kora, écrit par Zad Moultaka. Comment ce projet est-il né ?
Nous avions discuté de cela il y a très longtemps. Vincent m’avait parlé d’un projet avec un orchestre. Malgré la Covid, ils n’ont pas lâché l’affaire ! Avec Zad Moultaka, nous nous verrons au début du mois de février pour mettre tout cela en place. Je n’écris pas la musique mais j’ai des idées, que je souhaite transmettre à l’orchestre. Notre prochaine rencontre avec le compositeur servira à se mettre d’accord au niveau de l’accordage, des gammes, que tout soit clair. On va essayer de faire quelque chose de bien, un compromis autour de la kora. Mon rôle est aussi d’établir la connexion avec les jeunes joueurs de kora, pour en intégrer quelques uns au projet. J’essaye de leur apporter mon expérience de quarante ans de carrière internationale ; leur montrer la musique, mais aussi la vie de musicien, comment se comporter. Le rapport au temps est différent : en Occident, les plannings sont très précis : « là, j’ai deux heures de cours… ». Au Mali, ce n’est pas le sujet, l’apprentissage peut survenir à n’importe quel moment.