3 questions à Roberto Alagna

Le Théâtre antique a été ma maison pendant des années. J’y ai trouvé quelque chose qui correspondait parfaitement à ma nature et j’ai renoncé à des festivals prestigieux, comme Salzbourg ou Bayreuth, pour y chanter. J’ai toujours eu des saisons chargées, et Orange venant à la toute fin, c’est devenu un immense défi, physique et moral. J’ai donc décidé de faire attention, de mettre les Chorégies de côté pour un temps. Mais j’ai toujours dit que je reviendrais pour un rôle comme celui de Samson. Lorsque j’étais enfant et que mon arrière-grand-mère me lisait la Bible, j’ai été frappé par ce personnage à la force surhumaine. J’ai compris en grandissant la grande fragilité qui se cachait derrière cette force. Samson, c’est la force, mais c’est aussi la foi, et plus précisément le fait de tout perdre quand on perd la foi. Il y a là un message d’espérance très fort, qui a un sens particulier en cette période. Samson, c’est aussi le rôle le plus emblématique du répertoire français. C’est un parcours, une apothéose pour un interprète français d’arriver à Samson, comme d’arriver à Otello dans le répertoire italien, ou à Tristan dans le répertoire allemand. C’est un rôle héroïque, dramatique, total.
Quel est votre rapport au répertoire français, à la prosodie française ?
J’ai commencé ma carrière très jeune, et on m’a rapidement considéré avant tout comme un ténor italien. Lorsque je souhaitais aborder le répertoire français, on me répondait : « Tu as une voix à la Pavarotti, tu es dans cette lignée. Le répertoire français c’est autre chose, il faut un langage châtié, stylisé. » Mais je sentais que j’avais quelque chose à apporter. Je trouvais beaucoup d’interprétations trop sucrées, mièvres dans leur rapport à la diction, dans le fait de rouler les « r », ce qui peut se comprendre comme une manière de ne pas abîmer la ligne de chant, mais qui ne me convenait pas. J’ai alors trouvé un « r » beaucoup plus souple, qui me plaisait. Le soin que je porte à la diction française, je le porte à toutes les langues. Quand j’ai chanté en Amérique du Sud, en Roumanie ou en Russie, le public m’a félicité pour ma clarté, parfois supérieure aux chanteurs dont c’est la langue maternelle. En décembre dernier, quand j’ai interprété Lohengrin, j’ai travaillé avec deux coaches linguistiques qui ne m’ont jamais repris ! Dans mon travail, je pars toujours du langage parlé. Je garde toujours un accent, bien sûr, mais qui peut contribuer à la préparation du rôle, comme pour Lohengrin, qui vient d’un pays inconnu, où personne n’est jamais allé. Enfant, j’aimais énormément les mots, et je me souviens d’avoir été déçu de ne pas comprendre ce que chantaient les interprètes. Je m’étais dit : « Si un jour je chante un opéra, il faut que le public comprenne le texte », car si la musique sublime tout, le texte reste fondamental. Bien sûr, ce n’est pas toujours aisé, il est toujours difficile de trouver la juste mesure, mais c’est un travail que j’apprécie particulièrement. Les compositeurs comme Verdi disaient les mots tout haut pour retrouver leur musique intérieure. Ils n’ont pas plaqué une mélodie sur le mot, la mélodie est née du mot, de la façon de prononcer.
Après plusieurs productions sans public, comment appréhendez-vous votre retour à la scène ?
Les expériences de la vie font de nous des artistes différents à chaque fois que nous nous présentons au public, donc nous serons évidemment tous marqués par cette année de pandémie. Depuis l’âge de quinze ans, je joue presque tous les jours ; c’est la première fois de ma carrière que je m’arrête aussi longtemps. C’est une situation très curieuse, propice aux craintes, aux lassitudes. J’espère que la proximité avec le public, mais aussi entre les artistes reviendra, car je suis quelqu’un de chaleureux, j’aime le contact, les embrassades ; sans cela, le théâtre est froid, il y a quelque chose de cassé.
Propos recueillis par Gaspard Kiejman