Beethoven, un musicien espagnol ?

Beethoven est peut-être le plus flamand des compositeurs allemands, mais c’est aussi le plus espagnol, et non pas seulement par sa corpulence de taureau. Petit-fils de María Josefa Poll, il eut même la bonne idée de mourir dans un ancien refuge de moines baptisé « Maison de l’Espagnol brun ».
Dès sa jeunesse, Beethoven fut surnommé par son entourage « l’Espagnol ». En raison de son teint mat, de sa corpulence, de ses cheveux sombres… croit-on. Il semble cependant que son aspect physique ne soit pas la seule cause, mais bien, au moins pour partie, son ascendance. Car María Josefa Poll, la grand-mère paternelle de l’illustre compositeur, était originaire (elle ou sa famille) d’Espagne, plus précisément de la région de Valence (Valencia). Étrangement, cette filiation n’a été mise en avant que récemment.
Les premières mentions sont venues des États-Unis : Jan Swafford, dans sa biographie (2014), cite le fait mais sans le développer ; David Jacobs et Elliot Forbes, dans leur Beethoven (1970), confirment, plus en détail, que María Josefa Poll était bien issue d’Espagne. Mais c’est le musicologue espagnol Andrés Ruiz Tarazona, dans son ouvrage España en los grandes músicos (« L’Espagne chez les grands musiciens », 2018), qui apporte le plus de précisions, bien que l’on dispose de peu de sources, hors l’acte de mariage de María Josefa avec Ludwig van Beethoven dit « l’Ancien » (le grand-père de notre musicien), qui eut lieu en 1733 à Bonn (où le jeune marié s’était établi depuis juste un an). On sait que ce grand-père provenait des Pays-Bas : il était né en 1712 à Malines (distant de Bonn de seulement 200 kilomètres) sous le prénom de Lodewijk. Cette partie des Pays-Bas a été territoire espagnol jusqu’en 1714. C’est cette année-là que naît, semble-t-il, María Josefa, dans la péninsule ibérique ou aux Pays-Bas, de parents venus de ladite péninsule, peut-être poussés par les soubresauts de la guerre de succession espagnole (vers 1706). María Josefa devait finir ses jours tristement, dans un hospice pour cause d’alcoolisme. Lodewijk devenu Ludwig fut pour sa part chanteur, tout en tenant un commerce de vins (d’où l’addiction de son épouse ?).
L’action est à Séville
Il est curieux de noter que Johann, le père du Beethoven compositeur, le fils donc de María Josefa, fut lui-même chanteur (et porté sur la boisson), et s’illustra notamment dans un opéra du musicien espagnol Francisco Javier García Fajer. À croire que l’élément espagnol poursuivait la famille ! Chez le grand Ludwig van, il n’est que de citer son unique opéra, Fidelio, dont l’action prend place à Séville (une inspiration courante toutefois pour l’époque, si l’on songe seulement, parmi bien d’autres, aux Don Giovanni et Nozze di Figaro de Mozart). Ou La Bataille de Vitoria (Wellingtons Sieg), célébration de la défaite de Napoléon en Espagne composée en 1813.
Relevons aussi que dans ses premières années viennoises, Beethoven fut l’ami de la musicienne Mariana Martínez, fille d’hidalgo à la cour d’Autriche. Par la suite, il devait entrer en relation suivie avec Cayetano Anastasio del Río, fondateur du Collège espagnol de Vienne, au point de lui confier la formation de son neveu Karl. Il aura même des relations proches (amoureuses ?) avec ses deux filles. Et il devait s’éteindre d’une cirrhose hépatique, le 26 mars 1827, dans une vieille demeure viennoise appelée Schwarzspanierhaus, « Maison de l’Espagnol brun » (ancien refuge de moines ibériques) : un nom que l’on pourrait croire prédestiné en l’honneur de son hôte !
Pierre-René Serna