César Franck : les 200 ans du Pater seraphicus

« Le Pater Seraphicus », « Le Père Franck », « La bande à Franck »… 2022, année du bi-centenaire de la naissance à Liège de César Franck, est l’occasion d’outrepasser ces images d’Épinal. En un demi-siècle de composition, des Trios de 1840 au Quatuor à cordes et aux Trois Chorals pour orgue de 1890 (année de sa mort), Franck a influencé la musique de son temps, mais surtout a laissé des dizaines de chefs-d’œuvre. L’Orchestre National de France et l’orgue de l’auditorium nous permettront d’en savourer quelques-uns.
Remarquable coïncidence, nous commémorons aussi le centenaire de la mort de Proust, qui fit de Franck l’un de ses modèles pour Vinteuil, compositeur d’une sonate dont la « petite phrase » est au panthéon de la littérature. « Je suis allé entendre la Sonate de Franck que j’aime tant », écrivait en 1913 l’auteur de la Recherche. Dans le même domaine chambriste, le Quintette avec piano souleva l’enthousiasme de Debussy et d’innombrables autres auditeurs (quels que soient les liens de l’œuvre avec une éventuelle passion de Franck, homme marié et honorable père de famille, pour son élève Augusta Holmès…).
De son vivant, l’aura de César Franck s’est surtout développée à partir de son enseignement, auprès d’Alexis de Castillon, Duparc, Chausson, Ropartz, Lekeu ou l’hagiographe D’Indy. Cette « bande à Franck » pérennisa l’image éthérée d’un créateur uniquement motivé par sa foi ardente, sauveur de la musique française, ce qui ne contribua pas forcément à sa popularité.
Franck aurait pu atteindre l’olympe des compositeurs avec sa seule musique pour orgue. Que ce soit dans les églises parisiennes, en particulier Sainte-Clotilde, ou dans sa classe du Conservatoire dont les élèves s’appelaient Vierne ou Tournemire, il enrichit ce répertoire d’une musique lyrique dépassant largement le cadre liturgique (sont programmés au cours de cette saison la Prière, la Fantaisie en la majeur et le Final). On a pu lui reprocher de jouer de l’orgue « comme un pianiste », mais le piano inspira ces trois sommets franckistes que sont le Prélude, Choral et Fugue, le Prélude, Aria et Finale, ainsi que les Variations symphoniques avec orchestre. Noble écho du mouvement lent du Concerto n° 4 de Beethoven, cette partition sera jouée par Marie-Ange Nguci avec l’Orchestre National dirigé par Andris Poga.
Auteur d’une dizaine de mélodies, de l’opéra Hulda (inégal malgré de magnifiques duos), Franck s’est surtout servi de la voix humaine pour le répertoire sacré, témoignage de sa foi profonde. Aux côtés de plusieurs motets, et de la Messe à trois voix contenant le célèbre Panis angelicus, se détachent six oratorios, de Ruth (1845) à Rébecca (1881). Parmi eux, la postérité a retenu les monumentales Béatitudes, au détriment de Rédemption présenté en 1873. Les fades paroles d’Édouard Blau et certaines maladresses de composition mises en avant par ses propres élèves, incitèrent le « Père Franck » à revoir la copie de sa Rédemption, et à réécrire totalement l’interlude symphonique reliant les deux parties. Cette partition purement instrumentale se détachera vite de l’ensemble pour s’imposer dans les salles de concert du monde entier.
Jeune cinquantenaire, César Franck va faire alors de l’orchestre symphonique un de ses lieux de prédilection. Son maître Anton Reicha (qui forma Berlioz, Liszt et Gounod) avait été un ami proche de Beethoven, dont Franck se nourrira abondamment. Souvent accusé de wagnérisme, Franck saura développer dans ce répertoire un langage personnel, dans une harmonie raffinée et une orchestration qui va se solidifier (sa mauvaise réputation en cette matière doit être révisée). La musique à programme avait été inaugurée par les poèmes symphoniques de Liszt, qui vouait à Franck une admiration réciproque. À la suite de Liszt et de compositeurs slaves (tchèques ou russes), les Français illustrèrent ce genre musical à partir de 1871, dans le cadre de la Société nationale de musique, que Franck dirigera quinze ans plus tard. Au fait des œuvres narratives de Berlioz ou de Félicien David, Franck reçut en 1875 la dédicace de la Léonore de Duparc, qui le convainquit d’écrire ses propres poèmes symphoniques.
Après Les Éolides (1875) et Le Chasseur maudit (1882), Franck connaîtra une période d’incandescence orchestrale avec Les Djinns (1884) pour piano et orchestre d’après Victor Hugo, les Variations symphoniques (1886), Psyché (1887) et surtout la Symphonie en ré mineur (1888). Contemporaine de la Sonate pour violon et piano, Psyché surprit par le contenu érotique de son canevas et la sensualité de sa musique. Dédiée à Duparc, la Symphonie en ré mineur s’inscrit dans un renouveau français, inouï depuis les œuvres de Berlioz. Saint-Saëns venait d’écrire sa Symphonie avec orgue et D’Indy sa Symphonie cévenole, lorsque Franck se lança dans cette partition qui fait la synthèse des héritages latins et germaniques. Malgré les nombreuses polémiques déclenchées lors de la création de l’œuvre au Conservatoire de Paris en 1889, la Symphonie s’imposera rapidement dans le monde entier.
François-Xavier Szymczak