Présenter un concert
Arnaud Merlin : jazz et musique contemporaine, l’équation

J’ai commencé au milieu des années 80, au sortir du Conservatoire, en écrivant des programmes de salle. J’ai ensuite été invité à parler sur France Culture dans des émissions de jazz ; j’avais été en effet repéré par Lucien Malson à l’occasion de mon travail de maîtrise sur les rapports entre jazz et musique contemporaine. Enfin, comme je travaillais au Centre national d’action musicale, qui était un peu l’équivalent de la Cité de la musique aujourd’hui, et qui était dirigé à l’époque par Alex Dutilh qui produisait sur France Musique l’émission Avis aux amateurs, j’ai fait pendant quatre ou cinq ans des reportages sur la pratique musicale. Parallèlement, j’ai commencé à faire des émissions de jazz, encouragé par les André Francis, Claude Carrière et autre Alain Gerber qui ont donné mon nom aux directeurs pour la grille d’été. Enfin, en 1996, j’ai proposé à Jean-Pierre Rousseau, directeur de France Musique, un Abécédaire du jazz hebdomadaire, puis une émission sur les standards, Suivez le thème.
Votre double curseur « jazz » et « contemporain » n’était pas encore aussi équilibré qu’aujourd’hui…
Je ne faisais que du jazz. Quand Thierry Beauvert m’a proposé de faire la matinale en 2004, puis l’actualité du disque en 2005, j’ai pu revenir vers d’autres esthétiques (le classique, le contemporain, la musique ancienne, etc.) ; ce que j’aimais bien, soit dit en passant ! (rires) En 2009, j’ai été chargé de coordonner la soirée de musique contemporaine du lundi, et en 2014 la direction de la musique à Radio France m’a demandé de reprendre la saison de concerts de jazz au Studio 105, puis au Studio 104.
Je vous laisse carte blanche pour m’expliquer votre philosophie de la médiation pour la musique contemporaine !
Au fond, je suis très basique : clef d’écoute, trois minutes. Prenez le concert d’hier soir : il y avait un changement de plateau entre deux œuvres. Le directeur de l’Ircam a pris le compositeur sous son bras avec un micro, et lui a demandé en toute simplicité, en le tutoyant, d’expliquer son œuvre et comment elle a été interprétée. Ça a duré cinq minutes et c’était parfait. On n’a pas toujours besoin d’un concert-lecture avec une infinité d’exemples musicaux, ni de laisser le spectateur dans le noir déchiffrer son programme imprimé : il suffit quelquefois d’être dans la simplicité. Et à l’antenne, c’est pareil : il suffit de donner deux clefs, en citant la pensée du compositeur et en mettant l’œuvre en perspective, tout en attirant l’oreille sur certains timbres inhabituels.
Avec le temps, connaissez-vous mieux vos auditeurs ?
Il faut s’attendre à avoir de l’autre côté du poste un néophyte et un spécialiste. Les émissions un peu spécialisées doivent être validées par les connaisseurs, mais ce n’est pas pour cela que nous faisons ce métier. Il faut penser à l’auditeur qui entend cette musique pour la première fois, et lui donner envie d’en savoir plus, voire d’aller à un concert du compositeur entendu ce soir-là à la radio. Certes, les chiffres de la fréquentation de la musique baissent, mais cela ne veut pas dire que ça ne peut pas remonter ! Pour les besoins de l’émission du dimanche, je réécoute beaucoup d’émissions des années 70 : les présentations de concert étaient souvent peu ambitieuses (le nom de l’œuvre et c’est tout). On a fait beaucoup de progrès sur la présentation, on donne plus d’éléments aux auditeurs.
Musique contemporaine à la radio : mieux vaut-il être dans la salle ?
J’ai découvert beaucoup de choses à la radio et au disque, et je reçois beaucoup de témoignages de personnes qui, comme moi, ont eu le choc, le déclic, avec le son sans l’image. Dans bien des cas, la présence physique au concert ajoute à l’expérience esthétique, mais ce n’est pas contradictoire : certaines pièces passent mieux à la radio, notamment lorsqu’il y a un dispositif électronique.
Les compositeurs sollicitent-ils assez France Musique ?
Il y a une confusion régulièrement commise par les compositeurs, entre la radio commanditaire d’œuvres et la radio moyen de diffusion, et je dois reconnaître qu’il y a plus de compositeurs qui veulent être programmés ou recevoir une commande que de compositeurs qui écoutent la chaîne. Il est tout à fait naturel que les compositeurs veuillent de la musique contemporaine en permanence à la radio, et si nous raisonnons à partir de statistiques, alors oui, je suis d’accord : il faut donner une place importante à la musique d’aujourd’hui. Mais il faut également se souvenir de ce qu’est un auditeur, qui n’a pas les mêmes envies à toutes les heures. D’un autre côté, il faut assumer franchement la programmation de musique contemporaine : lorsque je présentais la matinale, nous fêtions les quatre-vingts ans de Pierre Boulez. J’en ai diffusé tous les matins et je n’ai jamais reçu de messages d’insultes.
Propos recueillis par Christophe Dilys