Signora Castafiore, quel est votre répertoire ?

Jeudi 2 septembre 2021
Signora Castafiore, quel est votre répertoire ? | Maison de la Radio et de la Musique
Bianca Castafiore, le « Rossignol milanais », enchante les aventures de Tintin et n’en finit pas de ravir ses admirateurs avec l’« Air des bijoux » de Faust. Mais hormis cette page illustre, quel est son répertoire ? Nous l’avons rencontrée dans sa loge de la Scala.
 

Bianca Castafiore, robe de velours et collier étincelant, est majestueusement installée sur un canapé. Igor Wagner, son pianiste-accompagnateur, est assis sur une chaise cannée. Il restera muet, de crainte ou d’admiration, tout au long de cet entretien.
 
Signora Castafiore, votre nom signifie littéralement : Blanche Chaste-fleur…
Blanchefleur, ne l’oubliez pas, est le nom de la mère de Tristan, la malheureuse qui meurt en mettant son fils au monde. Et dans casta, il est possible aussi d’entendre « Casta diva ». Vous voyez bien que tout ne se résume pas au nom de Maria Callas, j’ai moi aussi mon mot à dire dans l’histoire de l’opéra !
 
Dans casta, certains préfèrent entendre le mot « castrat »…
Vous voulez parler de Robert Agloud ?
 
Albert Algoud.
C’est ce que je voulais dire, naturellement. Pour cet impertinent, le dernier castrat ne serait pas Alessandro Moreschi mais un certain Fiorentino Casta dont il fait l’un de mes ancêtres. Mais l’hypothèse ne tient pas. D’ailleurs, si vous suivez la chronologie des vingt-deux albums définitifs laissés par Hergé, mon statut s’établit peu à peu comme un personnage à part entière. Mon personnage ne peut être que celui d’une faible femme qui se révèle bien malgré elle pleine d’héroïsme, comme je le montre face aux sbires de ce général Carioca.
 
Tapioca, signora, Tapioca.
Si vous voulez.
 
Reprenons depuis le début. Vous intervenez pour la première fois dans Le Sceptre d’Ottokar
À la page 28, oui, accompagnée de mon accompagnateur monsieur Wagner. (Elle se tourne vers le pianiste, qui sourit timidement.) Vous ne trouvez pas qu’il a un petit quelque chose de cet écrivain, ah, son nom m’échappe… aidez-moi… James Royce…
 
Vous voulez dire James Joyce ?
Oui, avec ses petites lunettes rondes. Il y a aussi un écrivain français qui lui ressemble… euh… ah, son nom ressemble à New York…
 
Jean Anouilh ?
Voilà. J’aurais dû y penser, moi qui aime tant les pâtes ! Al dente, naturellement, les geôliers de Tapiola en savent quelque chose ! Dans l’épisode du sceptre, nous prenons en voiture Tintin, qui cherche à se rendre à Klow. Nous n’allions tout de même pas le laisser voyager en autocar ! (Igor Wagner pouffe de rire involontairement.) Qu’y a-t-il, monsieur Wagner, ai-je dit quelque chose qu’il ne fallait pas dire ? (Le pianiste reprend son sérieux.) Ce que ne comprends pas, c’est que ce jeune homme, après que je lui ai chanté le fameux « Air des bijoux », celui qui me va si bien, celui qui m’a rendu célèbre, celui qu’on me réclame partout, préfère continuer sa route à pied. Je vous ferai remarquer, d’ailleurs, que les animaux de la forêt eux-mêmes accourent pour m’écouter chanter cet air. (Monsieur Wagner fait une moue dubitative, qu’il dissimule bien vite.) Enfin, oublions ce détail. L’important c’est qu’à Klow m’attend le roi Oskar XII…
 
Je crois qu’il s’appelle Muskar, sauf votre respect.
En tout cas, il me fait l’amitié de m’inviter à chanter lors d’une réception qu’il donne dans son palais. Mais vous savez, j’aime me faire désirer. Je suis ainsi ! Il faudra en effet attendre Les sept boules de cristal pour que je réapparaisse, cette fois au Music-Hall-Palace, où je chante devant un public conquis l’« Air des bijoux ».
 
Milou réagit à cette occasion avec un enthousiasme assez particulier...
N’est-ce pas ? Je vous l’ai dit, cet air est acclamé partout. Un air que ce facétieux capitaine Bayork…
 
Haddock, signora.
Oui, je sais, je n’ai pas la mémoire des noms. Anouilh, New York, le port, les docks, tout s’emmêle dans ma tête ! Que ce brave capitaine, disais-je, parodie si gentiment dans Objectif lune. Je lui pardonne tout, à ce brave marin.
 
Vous êtes également une vedette radiophonique…
Vous l’aviez remarqué ? Dans cette histoire de sceptre, quand le commandant Sprbodj (vous voyez, je ne retiens que les noms les plus difficiles à prononcer) met en marche la radio, c’est moi qu’on entend sur l’antenne de Klow PTT. Dans Tintin au pays de l’or noir, je fais une apparition radiophonique furtive, et d’autant plus saisissante, chez le marchand portugais Oliveira da Figueira. Et dans Tintin au Tibet, j’interviens aussi par le biais d’un transistor, celui des coolies qui accompagnent Haddock et Tintin partis à la recherche de Tchang. Je vous l’ai dit : le monde entier me réclame. Et je salue ici la radio, qui me permet d’être partout à la fois et de combler tous mes admirateurs, où qu’ils se trouvent.
 
À chaque fois cependant, c’est l’« Air des bijoux » qui est au programme…
Patience ! Mes apparitions sont de plus en plus déterminantes à mesure que nous progressons dans les dernières aventures de Tintin. Dans L’Affaire Tournesol, je surgis tout à coup, hop là, en compagnie d’Igor Wagner dans un couloir de l’hôtel Sznôrr, à Szohôd, la capitale de la Bordurie, où Tintin et le capitaine sont moins invités que détenus, les pauvres ! (Elle se tourne vers le pianiste.) Vous vous souvenez, monsieur Wagner ? (Il fait oui de la tête.) C’est que je me produis quelques pages plus loin sur la scène de l’Opéra de cette ville, où cette fois je chante le rôle intégral de Marguerite dans Faust.
 
N’est-ce pas dans cet épisode que le colonel Sponsz, qui vient vous rendre visite dans votre loge, s’assoit sur la casquette que le capitaine Haddock a laissée par mégarde ?
Et qu’avec un sang-froid à toute épreuve j’attribue au ténor qui chante dans Madame Butterfly !
 
Rien ne dit cependant que vous chantez vous-même dans cet ouvrage.
Tout vous dit au contraire que je n’ai aucun préjugé : je me produis aussi bien en Syldavie qu’en Bordurie. D’ailleurs, on me retrouve dans Coke en stock, où je participe cette fois au bal masqué offert sur le yacht du marquis de Gorgonzola, alias Rastapopoulos. C’est à cette occasion que je prononce cette formule : « L’Art doit ouvrir ses bras aux enfants de l’Aventure. » N’est-elle pas admirable ?
 
Aucune allusion n’est toutefois faite à votre répertoire.
C’est dans Les Bijoux de la Castafiore que vous en saurez plus. Il est vrai que, cette fois, j’ai le titre. Unité de temps, de lieu et d’action : la donnée est idéale pour une chanteuse lyrique de mon envergure.
 
Le capitaine s’autorise néanmoins à parodier une nouvelle fois l’« Air des bijoux », il en fait même des cauchemars à la page 14…
Oui mais je lui fais présent de Coco, le divin perroquet, et j’offre un disque à mon ami Tintin, qui attend ce présent depuis notre première rencontre mais a toujours eu la délicatesse de ne pas me le réclamer. C’est lors de l’entretien que j’accorde à la télévision, que je livre enfin les secrets du répertoire que j’aborderai dans les grandes capitales de l’Amérique du Sud : des œuvres de Rossini, de Puccini, de Verdi, de Gounid…
 
Savoureux calembour !
Vraiment ? (Igor Wagner hoche la tête en signe d’approbation.) Et c’est « Le Billet du jour » de La Dépêche qui vous donne la clef : avant de partir pour l’Amérique, j’ai interprété La gazza ladra (« La Pie voleuse ») à la Scala de Milan. Triomphe indescriptible ! Ma voix est une émeraude, même les oiseaux en sont jaloux !
 
On vous verra une dernière fois dans Tintin et les Picaros
Où je suis honteusement accusée de complot contre le général Capioba !
 
Tapiola, signora.
Ah, j’ai peut-être trop rêvé à une version en picard de cet album… Vous remarquerez qu’on assiste dans cette histoire à mon procès puis à ma libération, et que personne n’est en mesure de m’interdire de chanter mon air favori dans le prétoire.
 
Vous auriez dû intervenir dans l’album inachevé Tintin et l’alph-art
On le dit. Mais Hergé en est resté là. Me rendre immortelle lui a suffi. (La chanteuse semble se laisser aller tout à coup à la mélancolie. Puis elle se reprend.) Vous permettrez maintenant que je me retire, on m’attend pour la répétition. Nous en sommes au troisième acte de Faust.
 
La signora se lève non sans avoir adressé à son pianiste un péremptoire : « Vous venez, monsieur Wagner ? » Mais alors que nous allons sortir de sa loge à notre tour, Irma, la camériste de la diva, fait irruption, nous glisse un papier plié en quatre et s’efface en faisant un petit signe énigmatique. Que dit ce papier ? Ceci :
« L’opéra m’ennuie, je l’avoue à ma grande honte, avoue Hergé à Numa Sadoul en 1975. Ou alors il me fait rire, ce qui est encore pire. J’ai l’œil et l’esprit trop critiques : je vois la trop grosse dame derrière la chanteuse, même si elle a une voix admirable, le bellâtre derrière le ténor, le carton-pâte des décors, le fer-blanc des cuirasses… Mais je n’ai jamais vu d’opéra moderne. Sans doute s’est-on débarrassé de toute cette pacotille, de toute cette ferblanterie. Il y a sans doute actuellement plus d’exigence… Mais la race des Castafiore n’est certainement pas éteinte ! »
Il s’agit d’une confession faite par Hergé, en 1975, au metteur en scène Numa Sadoul. La divine Bianca est décidément immortelle !
 
Propos recueillis par Cyril Passereau
 
À lire : Mireille Moons, Bianca Castafiore, la diva du vingtième siècle, éd. Moulinsart, 2006.
Benoît Peeters, Lire Tintin, les bijoux ravis, Les Impressions nouvelles, 2007.
Albert Algoud, La Castafiore, nouvelle biographie très enrichie et toujours non autorisée, Le Cherche-Midi, 2020.
 
 
 
 

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