Barbara Hannigan, la première invitée

Barbara Hannigan, vous voici première artiste invitée de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Quelles qualités chérissez-vous chez ses musiciens ?
Ils possèdent ces sonorités incroyablement magnifiques, riches et chaleureuses à la fois ; dans chaque pupitre, je trouve quelque chose à admirer. Ils maîtrisent très bien le répertoire moderne, ont un sens inné du rythme et possèdent ce beau son projeté avec franchise, dans les nuances piano, et donc avec une certaine douceur, comme dans un style si nécessaire, empreint de gravité. Ils sont vraiment ouverts, ce qui me procure une joie immense de faire de la musique avec eux. Les chefs d’orchestre vous le diront, cette alchimie est nécessaire pour mener à bien une bonne collaboration, et je pense l’avoir trouvée avec ces musiciens. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité approfondir notre relation.
Comment comptez-vous répartir votre activité entre le chant et la direction ?
Cela pourra vous étonner, mais je ne fais aucune différence entre le chant et la direction. Dans certains programmes, je ne chanterai pas du tout, et dans d’autres, vous m’entendrez chanter. Dans deux saisons, j’ai aussi un projet qui permettra à un autre chef d’orchestre de me dirige. En réalité, la musique naît elle aussi dans cette région que j’appelle « respiration ». Elle est mon point névralgique, de même que pour les musiciens du Philhar.
Pouvez-vous nous dévoiler un axe particulier de votre prochaine année de compagnonnage avec le Philhar ?
Le 8 octobre prochain, je dirigerai ce programme très spécial du trio Vivier/Haydn/Messiaen. Claude Vivier, ce compositeur canadien si spirituel et à la voix si singulière ! La magnifique soprano grecque Aphrodite Patoulidou chantera la berceuse autobiographique Lonely Child, cet hymne à l’amour maternel et romantique qu’il n’a pas connu, dans un langage inventé alors qu’il était pensionnaire d’un orphelinat au Québec. Puis nous jouerons une symphonie de Haydn, mon fiancé de 200 ans que j’adore programmer dès que je peux, et nous terminerons avec les Oiseaux exotiques de Messiaen. Je poursuis ce projet Messiaen avec Bertrand Chamayou, au disque et au concert, depuis l’édition 2021 du Festival d’Aix et du Festival Messiaen. Pour moi qui écoute et interprète la musique de Messiaen depuis plus de vingt ans, j’ai presque l’impression de pratiquer sa musique comme une langue maternelle. Ce programme ira comme un gant à l’Orchestre Philharmonique, j’en suis certaine.
Après un deuxième concert, le 9 octobre, qui nous fera voyager de Buxtehude à Barnson et Pärt, vous vous en êtes donnée à cœur joie en programmant, le 7 avril, un face à face assez fascinant entre Stravinsky et Ligeti…
Juxtaposer Stravinsky à Ligeti m’excite totalement. Nous serons un mois avant le centième anniversaire de Ligeti, compositeur avec lequel j’ai beaucoup travaillé. Il a bouleversé ma vie d’interprète, de musicienne. Au-delà de sa disparition, il reste très présent physiquement grâce à la force inouïe de sa musique. Je suis curieuse de savoir comment le public réagira à ce programme qui rapproche deux immenses musiciens du XXe siècle aux langages très différents, mais que je me plais à voir réunis ici.
Quels sont les deux concerts que vous avez donnés avec le Philhar au cours des deux dernières années, qui restent plus particulièrement gravés dans votre mémoire ?
Je répondrai sans hésiter : notre vibrant hommage à la nature avec Stéphane Degout, Mathieu Amalric, Bertrand Chamayou et Alphonse Cemin. Un spectacle monté dans la pure joie de faire de la musique, sous les regards amusés de Roussel, Ravel, Saint-Saëns, Respighi, Poulenc, Satie et Williams. C’était vraiment magnifique, ce genre de fête en hommage à Dame nature ! Mais je pense aussi à la première fois où j’ai chanté La Voix humaine du duo Poulenc/Cocteau à Radio France. Un concert qui n’a malheureusement pas pu avoir lieu en public car nous étions en pleine pandémie. J’espère bien pouvoir le reprendre, parce que ce programme est pure folie. De même le concert du cycle « Le temps retrouvé » avec Stravinsky, Haydn et Britten : je n’aime rien tant que ce fol esprit qui nous souffle de créer quelque chose dans l’instant. Oui, je n’aime rien tant que cela : ressentir profondément l’alchimie de la création qui nous donne cette liberté et cette spontanéité, gages que nous formons un vrai groupe.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Benjamin François