Brundibár, un opéra clandestin ?

Nous sommes à Prague, en 1938. Cette année-là, le compositeur Hans Krása participe à un concours organisé par le ministère de l’Enseignement tchécoslovaque en composant un opéra pour enfants d’environ trois quarts d’heure : Brundibár. La Tchécoslovaquie est hélas démembrée cette année-là par les accords de Munich, puis envahie tout entière l’année suivante par l’Allemagne nazie. L’opéra sera malgré tout créé en 1941, clandestinement par les enfants d’un orphelinat juif de la rue Belgicka.
Né lui-même à Prague en 1899, Hans Krása est déporté pendant l’été 1942 au camp de concentration de Theresienstadt, situé au sein de la ville de Terezin, elle-même située dans ce qui est devenu le protectorat de Bohême-Moravie, désormais sous administration allemande. Ce camp a un statut équivoque : il sert d’étape pour les prisonniers destinés aux camps d’extermination et, d’une certaine manière, de vitrine et d’alibi pour le régime nazi qui permet qu’y soient organisées des manifestations artistiques. C’est ainsi que Krása modifia la partition de Brundibár afin que l’opéra puisse y être représenté. Ce sera le cas le 23 septembre 1943. En tout, Brundibár sera joué cinquante-cinq fois à Theresienstadt, dont une fois devant la délégation du Comité international de la Croix-Rouge.
L’argument ? Pepíček et Aninka, deux enfants pauvres, doivent trouver de l’argent afin de soigner leur mère malade. Sur la place du marché, ils entendent un joueur d’orgue de barbarie, nommé Brundibár, qui gagne largement sa vie en jouant de la musique. Les deux enfants suivent son exemple et se mettent à chanter, mais se font chasser de la place par Brundibár. Un chat, un chien et un oiseau les encouragent alors à faire appel aux autres enfants du village afin de chanter plus fort que l’orgue de Brundibár, qui finit par avouer sa défaite.
L’historien de la musique Joseph Tolz explique les trois raisons qui font l’originalité de Brundibár et le fait que l’opéra ait connu un grand succès à Theresienstadt : « Tout d’abord, il fournissait aux enfants tchèques une expérience théâtrale ; ensuite, le côté allégorique de l’histoire qui mettait en scène la victoire sur un tyran pouvait, par extension, faire écho à l’oppression vécue par les détenus ; enfin, la musique était facile d’accès, divertissante et simple à retenir. Les mélodies sont souvent associées à des personnages ou des situations. L’orchestration est à la fois accessible et raffinée, intégrant subtilement des éléments de jazz et de folklore tchèque, par exemple dans les mélodies de valse, dans les extraits figurant l’orgue de barbarie ou dans la première chanson entonnée par les enfants pour gagner de l’argent. »
Le 26 novembre, un texte de Kevin Keiss viendra s’insérer dans le livret original et les enfants de la Maîtrise seront mis en scène par Philippe Baronnet.
Florian Héro