En attendant le chant du plancton

Une exploration maritime inspirée d’un vieux conte japonais, prenant départ sur le littoral breton, et dont le titre emprunte au shimaoré, langue bantoue en usage sur l’île de Mayotte : voici qui éveille forcément la curiosité…
En effet, « nyamba » est un mot désignant la tortue à Mayotte. Le Voyage de Nyamba est né d’une commande de l’Académie musicale de Villecroze, en partenariat avec la Fondation de la Mer. Le cahier des charges était précis : l’ouvrage devait évoquer la préservation du littoral, la protection de la faune et de la flore, la prise de conscience du développement durable et de la situation climatique. C’est pourquoi j’ai retenu un vieux conte japonais, Urashima Tarō, régulièrement étudié dans les écoles. Ce conte est une invitation à faire le tour du monde, à traverser les mers et les océans, et à plonger pour découvrir ensemble ces profondeurs qui me fascinent. Se prêtant naturellement aux transpositions spatiales et temporelles, une telle histoire me semblait pouvoir parler à tous les enfants.
Cette transposition a été réalisée par Elsa Goujard, professeur d’histoire-géographie…
Il me paraissait essentiel de traiter ce sujet avec une double rigueur scientifique et pédagogique. Bien sûr, je connais moi-même la mer. Je l’aime et j’en apprécie les beautés. J’y suis souvent allée en vacances, sur les côtes atlantiques. Mais je souhaitais un regard plus juste sur les problèmes du monde marin, sur la présence des déchets ou sur la fragilité de certaines espèces. Elsa Goujard a beaucoup réfléchi sur les questions de transmission, sur l’importance des activités culturelles dans l’apprentissage. Elle est aussi musicienne, a joué avec des orchestres symphoniques comme avec des jazz bands. La rédaction d’un livret était une première pour elle, mais je savais que son texte aurait la justesse que le sujet exige.
Est-ce le rôle du compositeur que de s’engager sur les questions agitant la société actuelle ?
C’est la première fois que je travaille sur un sujet aussi engagé avec de telles contraintes pédagogiques. Est-ce que le propos musical se doit d’être didactique ? Je me suis toujours sentie au service du texte et de l’enfant, en veillant à ce que les plus jeunes, par la pratique ou par l’écoute, puissent découvrir la musique dans un espace poétique approprié. Mon engagement est essentiellement artistique. Mais la musique est un moyen magique d’apprendre d’autres choses. C’est une force d’éveil et de prise de conscience. C’est dans ce sens que nous avons travaillé sur le conte, sur l’histoire de ce petit garçon qui sauve une tortue, part en voyage et, à son retour, parce que le temps a passé, se métamorphose en fou de Bassan.
Le récit s’accompagne de nombreuses chansons, et la chanson du plancton est probablement une « première mondiale ».
C’est nous, c’est nous, c’est nous le plancton
Nous sommes partout, nous sommes des millions
Et sans vouloir nous vanter
Nous sommes les rois des rochers !
Le chant du plancton est le moment le plus drôle du spectacle, mais il y a aussi un canon qui rappelle la présence de la langue française sur tous les océans, un vortex de plastique invoquant la pollution du canal de Panama et traité à la façon d’un tango, une tempête et une « plongée tectonique ». La chanson est une forme accessible, facilitant la mémorisation et la mise en place musicale. C’est pourquoi Le Voyage de Nyamba repose sur des mélodies à une voix avec quelques bribes polyphoniques. La partition doit pouvoir être interprétée par tous les écoliers et les collégiens. J’ai également prévu un chant libre, sur lequel les élèves peuvent déposer leur propre texte, fruit d’un travail en classe. Une façon pour chacun de s’approprier ce conte, qu’on soit en métropole ou dans les collectivités d’Outre-mer. Il y a encore un bref chant de salle qui revient tel un refrain, mêlant les voix du public à celles des enfants, à chaque fois sur des mots différents ; à la fin de l’ouvrage, ses couplets successifs forment une chanson à part entière que tout le monde peut reprendre. C’est une jolie façon de partager... Les propositions de l’Académie musicale de Villecroze sont d’une grande richesse humaine. L’association ne s’arrête pas à favoriser la création ; elle fait aussi vivre la musique en mettant à disposition les partitions et les enregistrements sur les réseaux pédagogiques de l’Éducation nationale, puis en soutenant leur reprise dans le milieu scolaire par l’organisation de stages pour les enseignants. Mon précédent travail sur Le Petit Prince d’après Saint-Exupéry me laisse de merveilleux souvenirs, et je me réjouis déjà de rencontrer les professeurs, les conseillers pédagogiques et tous les élèves afin de partir ensemble en voyage avec Nyamba.
Propos recueillis par François-Gildas Tual