Howard Shore par trois fois

Parmi tous les compositeurs de musique de film d’aujourd’hui, le Canadien Howard Shore est sans doute un des plus complets. Si le grand public le connaît essentiellement à travers ses partitions monumentales pour les deux trilogies du Seigneur des Anneaux et du Hobbit, toutes deux signées Peter Jackson, les plus avertis savent que l’art du compositeur favori de David Cronenberg ne se limite pas aux grandes fresques orchestrales, aussi brillantes soient-elles. Il faut dire que si Howard Shore a reçu une formation académique au Berklee College Music of Boston, il a goûté, à la même époque, la fin des années 1960, aux délices du rock en fondant le groupe Lighthouse. De cette double postulation, il a justement tiré un langage hybride qui lui permet de s’adapter aux contextes les plus variés, qualité indispensable si on veut faire carrière dans la musique de film.
La série des trois concerts organisée par Radio France en l’honneur du compositeur, au mois de mai 2023, permettra à ceux qui ne connaissent qu’un aspect du style d’Howard Shore, de prendre la mesure des multiples facettes du compositeur. À côté d’extraits substantiels de sa partition pour le premier volet du Seigneur des Anneaux, La Communauté de l’Anneau, on pourra notamment écouter quelques pièces importantes composées pour certains films de David Cronenberg : The Fly (« La Mouche »), Naked Lunch (« Le Festin nu ») ou encore Crash. Cette collaboration entre Shore et Cronenberg, qui s’est poursuivie sur la durée, apparaît comme le fil conducteur de la trajectoire du compositeur. Débutée à la toute fin des années 1970, avec The Brood (Chromosome 3), une partition totalement dissonante pour un des films les plus terrifiants de Cronenberg, ce compagnonnage va serpenter tout au long des décennies suivantes et permettre à Howard Shore d’expérimenter tous azimuts. On se souvient par exemple des effets électroniques primitifs et puissants dans Vidéodrome, du jazz symphonique tordu, avec Ornette Coleman comme soliste de luxe, dans Naked Lunch, ou du sextet de guitares électriques formé pour l’incroyable musique de Crash. Autant de bandes originales au parfum expérimental qui montrent bien que les chemins empruntés par Shore pour son ami Cronenberg ne doivent rien à la facilité.
Parmi les plaisirs que risque de procurer le week-end Howard Shore à Radio France, il en est un plus secret : celui qui permettra d’entendre quelques pièces écrites par le compositeur en dehors de son activité dans le cinéma. Des pièces de musique absolue, pour reprendre l’expression d’Ennio Morricone en opposition à la musique appliquée (c’est-à-dire, pour Shore comme pour Morricone, la musique de film), vraiment rares, qui devraient permettre d’élargir substantiellement notre connaissance de l’œuvre d’Howard Shore.
Thierry Jousse