Il y a trente ans, Olivier Messiaen

Il est devenu un classique du XXe siècle. Occupant, au disque comme au concert, une place bien à lui dans le cœur des musiciens et des mélomanes. Qu’on juge du nombre d’enregistrements des hypnotiques Vingt regards sur l’Enfant-Jésus parus ces dernières années ! Né en 1908, Olivier Messiaen s’est éteint le 27 avril 1992. Bien des mots viennent à l’esprit quand on convoque son nom : foi catholique, orgue virtuose, chants d’oiseaux, rythmes indiens… Ne nous en effrayons pas ! Car en premier lieu, sa musique offre une expérience sensorielle unique, via une écriture suprêmement savante fécondée par la voix d’un artisan pieux à l’écoute des merveilles du monde qui l’entourent. C’est dans sa chair qu’il faut vivre cette musique, autrement dit au concert. On plonge alors dans un océan de sons, un nectar de saveurs et de pigments orchestraux inouïs, auxquels la spiritualité du compositeur confère un sentiment d’élévation peu commun.
On est happé par les tourbillons véhéments qui ouvrent le Tombeau resplendissant, page pour grand orchestre composée en 1931 : Messiaen n’a que vingt-trois ans, le ton est sombre, tragique, lui-même disait y avoir fait trembler le tombeau de sa propre jeunesse. Mais après la rage et la colère, les trois minutes d’épilogue du Tombeau libèrent une de ces longues et lentes mélodies dont il avait le secret, jouée aux cordes seules, littéralement planante. Du pur Messiaen. L’Ange jouant de la viole dans sa grand-messe lyrique Saint François d’Assise crée semblable sentiment d’apesanteur ; tout comme la mélopée enveloppante qui ouvre Les Offrandes oubliées, partition de 1930 née peu avant sa nomination à l’orgue de la Trinité, celle qui attira pour la première fois sur lui l’attention du monde musical et dévoile déjà, en germe, tous les éléments de son langage harmonique. La dernière des « quatre méditations symphoniques » de l’Ascension, « Prière du fils montant vers son père », envoûtera au même titre dans son apogée céleste ; de ce grand polyptyque donné en première audition en 1935, Messiaen livrera aussi une version pour orgue. Tout autres seront les Oiseaux exotiques, postérieurs de vingt ans, d’une nouveauté plus acide, destinés aux concerts du Domaine Musical, où cette page touffue pour piano et orchestre fut créée sous les doigts d’Yvonne Loriod en 1956.
Pour autant, le chef-d’œuvre orchestral de Messiaen n’en reste pas moins la Turangalîla-Symphonie, fruit d’une commande de Serge Koussevitzky. « Faites-moi l’œuvre que vous voulez, de la durée que vous voulez, dans le style que vous voulez, de la durée que vous voulez, avec la formation instrumentale que vous voulez ! », lança le chef à un Messiaen âgé de trente-huit ans. Étourdi par cette offre, celui-ci répondit par une symphonie en dix parties de plus d’une heure, pour un orchestre démesuré enrichi d’ondes Martenot et d’un piano aux traits brillants, destinés à diamanter l’orchestre. Leonard Bernstein fut le premier à la diriger, à Boston, en 1949. Depuis lors, ce déluge orchestral, orgie de sons et de jaillissements dionysiaques, est de ceux qui marquent durablement l’expérience d’un auditeur.
Jérémie Rousseau