Judith Bingham : « Les voyelles colorent la musique »

Judith Bingham est née à Nottingham en 1952 et a commencé la composition dès son plus jeune âge avant d’étudier à la Royal Academy of Music à Londres. Ses études à peine terminées, elle obtient le BBC Young Composer Award, avant d’écrire pour les King’s Singers, Peter Pears, et le New London Consort (faisant d’elle une des premières compositrices à écrire pour les instruments anciens). Judith Bingham compose depuis les années 70 dans un style que nous ne pouvons que qualifier d’authentiquement « anglais » : il y a dans chacune de ses pages à la fois des échos de brass band et de maîtrise d’enfants, des souvenirs de Britten ou de Holst, et surtout un rapport amusé et flegmatique à la tonalité.
Judith Bingham, quel était le cahier des charges rédigé par Sofi Jeannin pour la composition de cette pièce ?
Sofi souhaitait une pièce de dix minutes, en français et sur le thème de la nuit. Le champ était ainsi ouvert à tous les possibles poétiques… ce qui m’a toutefois demandé beaucoup de réflexion pour savoir ce que, moi, je voulais. J’ai choisi d’assembler et de mettre en musique quelques lignes de deux poèmes célèbres : l’un de Verlaine : L’Heure du berger, l’autre de Lamartine : Le Lac. En prenant les deux, j’ai pu créer un mélodrame centré sur ce moment intense que l’on peut vivre avec une personne que l’on aime, ce moment que nous voulons faire durer à jamais. Le ton est mélodramatique, mais il n’est également effrayant.
Quand vous composez pour des enfants, prenez-vous en compte la différence d’expérience et de maîtrise technique par rapport à un chœur professionnel de femmes ?
Absolument ! Je compose toujours spécifiquement avec des interprètes en tête. J’ai regardé beaucoup de vidéos de la Maîtrise de Radio France avant de commencer à composer. Il y en a une en particulier qui m’a bouleversée : une magnifique captation de la Maîtrise chantant du Palestrina. Je n’aime pas composer pour les adolescents de la même manière que je compose pour les enfants : j’essaie de me rappeler comment j’étais à l’époque de ma propre adolescence (il y a très longtemps !) ; je me souviens que tout était plus intense, plus dramatique. J’essaie de communiquer ces émotions à travers mes notes, tout en composant quelque chose d’assez exigeant techniquement : je ne suis pas du genre à écrire quelque chose d’heureux et simple !
Tant pis pour le cliché, mais… est-ce que la culture britannique aide à mieux comprendre les enjeux de la musique pour chœur d’enfants et d’adolescents ?
C’est tout à fait exact. De plus, en Angleterre, si vous voulez être compositeur à plein temps, vous devez composer pour chœur, et surtout pour les maîtrises qui passent beaucoup de commandes. Ce qui est intéressant en réalité, c’est de composer pour les maîtrises d’autres pays : États-Unis, France, Scandinavie, Australie, etc. Chaque pays a sa spécificité : les Anglais sont dans le registre mezzo-soprano et baryton, alors qu’en France les femmes sont plus soprano que mezzo, tout comme les Italiens sont ténors et les Russes basses. Ces différences de timbre donnent toute la couleur aux chœurs, et il est très intéressant de composer en fonction de ces paramètres. Entendre un chœur étranger chanter une de mes pièces composées pour un chœur anglais est tout à fait passionnant : les voyelles colorent la musique différemment, et l’émotion s’en trouve changée. Pour cette pièce, les vers de Verlaine et de Lamartine servent de guide dans la couleur typiquement française des voyelles.
Propos recueillis par Christophe Dilys