À kora et à cris

« Réfléchir sur des instruments traditionnels est un exercice très délicat mais très intéressant », confie le compositeur franco-libanais Zad Moultaka, formé à la rigueur de l’écriture musicale occidentale mais intrinsèquement lié à ses racines méditerranéennes. Sa rencontre avec le compositeur György Kurtág fut décisive dans l’affirmation d’une écriture originale qui s’enrichira parallèlement d’un important travail plastique : installation, peinture, photographie, vidéo.
Plasticien subtil, d’une intuition musicale tout en nuances, Zad Moultaka travaille et s’interroge en explorateur de sons et poursuit une recherche qui le mène vers des endroits qui n’appartiennent pas qu’à sa tradition. Dans Gilgamesh Épopée ou la passion d’Enkidu, opéra instrumental pour huit instrumentistes, électronique et vidéo, il confronte les instruments méditerranéens traditionnels (ney, kanun, lyra, santur, yaili tanbur...) aux instruments baroques occidentaux (violes de gambe) au sein de son Ensemble Mezwej, fondé en 2004, toujours dans cette démarche d’expérimentation sur les différentes cultures musicales. « Avec cette œuvre, c’était un début de réponse », dit le compositeur.
Aujourd’hui, Zad Moultaka fixe son attention sur la kora, harpe-luth de 21 cordes. À l’origine instrument d’une femme-génie qui vivait dans les grottes de Missirikoro au Mali, la kora est devenue l’instrument emblématique de toute l’Afrique de l’Ouest.
Pour Ballaké Sissoko, musicien autodidacte, improvisateur, compositeur, la kora représente un héritage familial, transmis par son père Djelimady Sissoko, l’un des plus illustres joueurs de kora de l’Ensemble instrumental du Mali. Un ensemble que Ballaké intégrera par la suite, à l’âge de treize ans, au moment de la mort de son père. C’est là qu’il apprendra de ses aînés, et notamment de Sidiki Diabaté, père de Toumani.
Ballaké Sissoko joue depuis lors sur ces 21 cordes de ses mains guérisseuses. Son dernier album est intitulé « Djourou », c’est-à-dire le fil, la corde qui le relie aux autres. Oxmo Puccino, l’un des invités de cet album, parle, à propos du jeu de Ballaké, « de silence puissant, de musique sacrée »... Zad Moultaka joue aussi de ces cordes, mais en retire une. Tout se décale d’une corde, et la vision du monde est autre : c’est la porte d’entrée vers de nouveaux espaces, une nouvelle œuvre.
Sissoko jouant Moultaka, c’est la rencontre d’un compositeur et d’un interprète, qui, avant même d’être musicien est avant tout un djeli, un griot, détenteur de la tradition orale du peuple mandingue. Le djeli Ballaké Sissoko écoute, accueille, s’émerveille... Le jeu, plus dense, devient une danse, une invitation.
Françoise Degeorges