Le retour de Saint-Saëns

Mardi 6 juillet 2021
Le retour de Saint-Saëns | Maison de la Radio et de la Musique
Né sous Louis-Philippe, disparu alors qu’Alexandre Millerand était Président de la République, Camille Saint-Saëns est l’un des héros de la saison de l’Orchestre National de France.
 
Mort le 16 décembre 1921 à l’âge de quatre-vingt-six ans à l’hôtel Oasis d’Alger, Camille Saint-Saëns se voit idéalement fêté cet automne par l’Orchestre National de France à l’occasion des cent ans de sa disparition. Au concert, outre un trio d’œuvres dont le succès ne s’est jamais démenti (le Concerto pour piano n°5 dit « L’Égyptien », le Carnaval des animaux et la Troisième Symphonie « avec orgue »), vous pourrez apprécier quelques partitions plus rarement jouées comme La Foi (trois tableaux symphoniques op. 130), le Requiem, la Havanaise ou encore, les deux Concertos pour violoncelle. L’ONF a, depuis la nomination de Cristian Mācelaru, notablement intensifié la programmation du côté d’une tradition musicale française qu’il est devenu primordial de redécouvrir.

Car le temps n’est-il pas venu de considérer Saint-Saëns comme un des grands compositeurs français ? Son éclectisme prolifique fut souvent considéré avec méfiance, et la perfection de ses formes musicales, son adoration des maîtres anciens, son délicieux exotisme, décodés comme superficiels et académiques. Quant à sa prétendue absence d’ambition à ouvrir l’horizon esthétique sur l’avenir, elle a été abondamment vilipendée, passant sous silence que le compositeur à la carrière si prolifique, longue de plus de soixante-quinze ans, est né sous Louis-Philippe et mort sous Millerand. Tout juste lui reconnaît-on d’avoir été un des plus grands pianistes (et organistes) virtuoses de son temps, improvisateur hors-pair ayant magistralement servi son instrument. Pourtant, en 1910, celui que l’on décrit parfois comme réactionnaire n’hésitait pas à faire part, aux convives d’un « Dîner des optimistes », de ses doutes quant au sort de la musique occidentale, prônant de la régénérer au contact des modes hindous !

Dans le cas de Saint-Saëns, le vieil adage « nul n’est prophète en son pays » semble n’avoir jamais été plus vrai ; contrairement à la Grande-Bretagne où on le tient pour le chef de file des compositeurs français, le créateur de Samson et Dalila sort en France d’une longue période de purgatoire où il n’apparaissait que fort parcimonieusement dans les programmes de concert. La phrase laconique et cinglante de Debussy – « Monsieur Saint-Saëns est l’homme de France qui sait le mieux la musique du monde entier. Cette science de la musique l’a d’ailleurs conduit à ne jamais consentir à la soumettre à des désirs trop personnels » – l’a définitivement rangé parmi les conservateurs bon teint. Pourtant, Saint-Saëns devança ses contemporains dans plusieurs domaines : il fut le premier Français à composer un poème symphonique, le premier virtuose du piano à jouer l’intégrale des concertos pour piano de Mozart ou – par cœur – l’intégrale des sonates pour piano de Beethoven. Et aussi le premier créateur à composer pour le cinéma !

Contrairement à certains de ses collègues contemporains, Saint-Saëns fut ce voyageur compulsif à l’esprit cosmopolite, au point à certaines époques de sa vie de ne plus disposer d’adresse fixe à Paris. Les raisons à ce mode de vie sont multiples : ses bronches très fragiles l’incitaient à se retirer sous des latitudes méditerranéennes, mais la perte de sa mère en 1888, la nécessité de se mettre à l’abri lors de la Commune en 1871, voire de fuir une société aux normes étouffantes, l’ont incité à rechercher un ailleurs. Gages d’ouverture sur le monde, ses très nombreux engagements professionnels comme pianiste, organiste et chef d’orchestre lui ont fourni toutes les autres occasions de se faire entendre à l’étranger : en Angleterre, en Russie, en Allemagne, en Belgique, jusqu’en Californie et en Amérique latine. L’Inde et le Vietnam étaient prévus, mais ces projets purent se réaliser. Car Saint-Saëns a compris avant tout le monde que la culture française classique se devait d’être présente partout dans son domaine d’excellence, au nez et à la barbe des Anglais qui avaient pris position en Égypte, mais considéraient avec respect et même dévotion cet infatigable ambassadeur de la IIIe République.

L’apport de Saint-Saëns s’exprime aussi dans sa compréhension très fine des enjeux de politique culturelle. La musique française accuserait-elle quelque faiblesse face à la force d’attraction internationale de la musique allemande ? Il cofonde la Société nationale de musique et forme l’ambitieux projet de donner un élan décisif aux jeunes compositeurs nationaux ayant les pires difficultés à faire programmer leurs œuvres et ce, au prix du reniement de son grand amour de jeunesse, Wagner, dont il fut un des premiers à reconnaître le génie avec Gounod et Berlioz. Sans aucun dogmatisme, en pleine guerre de 1914-1918, il part cependant en croisade contre l’interdiction de cette musique « ennemie ».

La valeur d’un compositeur peut se mesurer à sa capacité à résister aux sirènes de la facilité. À une époque où le goût du public tendait vers le divertissement lyrique, Saint-Saëns « ose » écrire Samson et Dalila, sur un sujet biblique qui suggérait davantage l’oratorio que l’opéra, art pour lequel il cherchait en vain une reconnaissance. De prétendus protecteurs des arts, comme la princesse Mathilde, lui rétorquaient : « Comment, il n’est pas content de sa position ? Il joue de l’orgue à la Madeleine, du piano chez moi ; cela ne lui suffit pas ? » Pour couronner le tout, on refusa par deux fois de lui décerner le Prix de Rome, sous prétexte qu’il n’en avait pas besoin.

Et le symphoniste ? Il réalise avec talent un difficile art de la synthèse, poursuivant le projet d’unifier et réconcilier formes, styles et courants les plus opposés de son époque. Dès sa prime jeunesse, Saint-Saëns s’adresse à la musique pure, à la forme sonate et à la symphonie, encore peu prisées en France. Dans sa Première, écrite à l’âge de quinze ans, il convoque Mozart et Beethoven tout en rafraîchissant l’écriture allemande de l’Andantino et du Scherzo. Dans sa Deuxième, il résout l’antagonisme des thèmes par l’organisation rigoureuse de l’expression. Vingt-sept ans après, il innove avec sa Troisième : une symphonie qui invite l’orgue et le piano, grands absents jusque-là du collectif symphonique, en recourant au procédé lisztien de la métamorphose thématique.

Contrairement à beaucoup de ses collègues, il a été le premier compositeur français à s’affairer autour du concerto : dix œuvres pour instrument soliste et orchestre, trois pour violon, cinq pour piano et deux pour violoncelle. Sans même parler des dix-huit autres pièces où d’autres instruments (le cor, la flûte, la clarinette, la harpe, l’orgue, le violon ou le piano) sont associés à l’orchestre. Dans L’Égyptien, ses emprunts à des rythmes et modes orientaux ne démentiront pas son côté novateur, avec son délicieux chant d’amour nubien des bateliers sur le Nil. La composition de concertos allait permettre à Saint-Saëns de mettre en lumière la virtuosité technique de ses solistes qu’il défendait comme source du pittoresque en musique : « Elle donne à l’artiste des ailes, à l’aide desquelles il échappe au terre-à-terre et à la platitude. La difficulté vaincue est elle-même une beauté. »

Il nous faut conclure ici sur un paradoxe : avant 1910, le public s’est montré peu sensible à la nouveauté des œuvres de Saint-Saëns tandis que la critique lui reprochait « un égarement maladif de sa fantaisie ». Après, il était devenu au contraire un dangereux conservateur car la génération des Schönberg, Stravinsky et Bartók incarnait la modernité. À mille lieux de ce stérile débat qui trouve des prolongements jusqu’à nos jours, Maurice Emmanuel découvrait dans ses premières études sur Saint-Saëns qu’il était, plus qu’aucun de ses contemporains, un grand rythmicien, tandis que quelques compositeurs comme Liszt, Ravel ou Dutilleux reconnaissaient sa belle altérité.
 
Benjamin François
 
 
 
 
 
 

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