Pinocchio par Pinocchio

Publiées en 1883 par Carlo Collodi, vos Aventures, sous-titrées Histoire d’un pantin, sont considérées comme un chef-d’œuvre de la littérature enfantine…
En effet, plus de dix millions d’exemplaires du livre de Collodi, publié en feuilleton à partir de 1881 dans le Giornale per i bambini*, ont été vendus au cours du XXe siècle ! Le drame, voyez-vous, c’est que le nom même de Pinocchio (le mien, hélas !) évoque aujourd’hui, pour beaucoup, le dessin animé tourné dans les studios de Walt Disney en 1940, trois ans après Blanche-Neige et quelques mois avant Fantasia. On y voit évoluer Gepetto, le chat Figaro, le poisson rouge Cléo, la Fée bleue, et Jiminy Cricket, ma conscience incarnée ! Et je ne vous parle pas du marionnettiste Stromboli, de la baleine Monstro et de bien d’autres personnages.
Le Pinocchio de Walt Disney n’est toutefois pas le premier long métrage qui vous ait mis en scène…
Dès 1935 en effet, on a entrepris en Italie un premier film d’animation sur une musique de Giordano, le compositeur d’Andrea Chénier. Un projet inachevé, qu’ont suivi, quelques décennies plus tard, Un burattino di nome Pinocchio de Giuliano Cenci (1972) et Pinocchio d’Enzo D’Alo (2013). Un nouveau long métrage animé est sorti par ailleurs en 1987 aux États-Unis, réalisé par Hal Sutherland et plus ou moins présenté comme la suite du film de Disney : Pinocchio and the Emperor of the Night. Jiminy s’appelle Willy, rendez-vous compte, et moi-même je suis un enfant redevenu pantin par le pouvoir maléfique du forain Pupettino. D’autres dessins animés, curieusement, me mettent en scène dans un univers de science-fiction : Pinocchio dans l’espace de Ray Goosens (1965) et Pinocchio le robot de Daniel Robichaud (2004), situé en l’an 3000 dans la cité de Scamboville : la fée s’appelle Cyberina !
Plus surprenant, des cinéastes soviétiques se sont intéressés à vous…
J’imagine que vous faites allusion à Dimitri Babichenko, à qui l’on doit Pinocchio et la Clef d’or (1959), et à Léonide Netchaev, réalisateur des Aventures de Bouratino (1975). Les riantes collines toscanes ont pourtant peu à voir, a priori, avec l’âpreté des steppes russes ! Mais tout s’éclaire si l’on sait que ces deux films s’inspirent moins directement du livre de Collodi que d’un conte d’Alexis Tolstoï, lointain descendant de l’auteur d’Anna Karénine : La Petite Clef d’or, adaptation russe des Avventure di Pinocchio. Netchaev signera d’ailleurs aussi un Petit Chaperon rouge en 1977 et un Peter Pan en 1987.
Vos aventures cinématographiques ne se résument pas au dessin animé...
Plusieurs cinéastes ont tenu à donner leur version du mythe (osons le mot !) avec des comédiens de chair et d’os, et ce dès l’époque du muet : Giulio Antamoro tourne en effet son Pinocchio dès 1911. Suivront Giannetto Guardone (Le avventure de Pinocchio, 1947), Steve Barron (The Adventures of Pinocchio, 1996), Michael Anderson (The New Adventures of Pinocchio, 1999) et bien sûr Luigi Comencini qui, à partir d’une série télévisée, signa un long métrage avec Nino Manfredi et Gina Lollobrigida, sorti sur les écrans français en 1975. La musique écrite pour cette série sera reprise en 1993 par le groupe italien Pin-Occhio dont la chanson sera elle-même adaptée en français sous le titre T’es pas cap, Pinocchio !
On est assez loin de Giordano…
Les amateurs de sensations fortes préféreront peut-être l’assez laborieux Pinocchio’s Revenge de Kevin Tenney (1996) : je m’empare de l’âme d’une petite fille qui apparaît toujours au mauvais moment et, armée d’un couteau, finit par semer la terreur. Vous imaginez ?
Oublions ici les nombreux téléfilms et autres séries qui reprennent avec plus ou moins de bonheur votre malicieux personnage…
Oui, Mickey Rooney est le héros d’un Pinocchio en 1957, et en 1976 sera tournée une série nippo-allemande intitulée elle aussi Pinocchio…
N’oublions pas en revanche le Pinocchio de Matteo Garone avec, dans le rôle de Gepetto, Roberto Benigni… qui avait été Pinocchio en 2002, dans un film qu’il avait lui-même réalisé.
Et puis, pour que ma gloire soit parfaite, précisons qu’est annoncé un prochain Pinocchio tourné en stop motion (animation en volume) par Guillermo del Toro, qui explique : « Pour moi, Pinocchio, à la manière de Frankenstein, est une page blanche qui permet d’explorer ce qui fait notre monde et le sens de la condition humaine. » Le film, fable sur la désobéissance « qui marque la naissance de la volonté et l’avènement du choix », selon le cinéaste, s’appuiera sur des planches dessinées de Gris Grimly, ce qui est prometteur, et se situera dans l’Italie des années 1930.
La musique ?
Elle sera composée par Alexandre Desplat !
Propos recueillis par Christian Wasselin
* Journal des enfants.