A propos de la Quatrième de Tchaïkovski
Daniele Gatti et l’Orchestre National poursuivent leur intégrale des symphonies de Tchaïkovski. Prochain rendez-vous le 15 mai au Théâtre du Châtelet.
Sans trop solliciter l’anecdote, on peut remarquer que la Quatrième Symphonie est entreprise en mai 1877, au moment où Antonina Ivanovna Milioukova, une des étudiantes de Tchaïkovski, persuade celui-ci de l’épouser ; mauvaise bonne nouvelle qui intervient alors que le compositeur, homosexuel notoire mais honteux, essaye de donner à la société de son temps tous les gages de la respectabilité. Cette époque est aussi celle de la rencontre de Tchaïkovski avec Tolstoï (qui pleurait en écoutant l’Andante de son Premier Quatuor) et de la composition de l’opéra Eugène Onéguine, laquelle sera en partie menée de front avec celle de la Quatrième Symphonie.
L’année 1877, enfin, est celle qui voit Tchaïkovski commencer d’entretenir une correspondance passionnée avec la lointaine et protectrice madame Nadejda von Meck, liaison singulière qui durera quatorze années. C’est à elle, femme idéale, compréhensive et adorée, qu’il parlera le plus volontiers et avec le plus d’effusion du fatum, « cette force fatidique qui empêche l’aspiration au bonheur d’aboutir, qui veille jalousement à ce que notre félicité ne soit jamais parfaite, qui reste suspendue au-dessus de notre tête comme une épée de Damoclès et qui perpétuellement verse le poison dans notre âme ». Annoncé par des fanfares éclatantes et menaçantes dans la Quatrième Symphonie, le fatum sera exprimé d’une manière plus malléable et plus insidieuse dans la Cinquième, et aboutira au délitement sentimental de la Sixième, très opportunément baptisée « Pathétique ».
Fanfares et pizzicatos
Des fanfares, donc. Le premier mouvement de la Quatrième Symphonie s’ouvre par un motif solennel confié aux cuivres, qu’on réentendra plusieurs fois au cours de l’œuvre. Il s’ouvre sur un constat d’accablement, d’où émerge peu à peu la musique. Celle-ci atteindra des sommets d’angoisse et d’agitation, mais la séquence (entendue deux fois) qui superpose des lambeaux de valse et des battements funèbres éfouffés est sans doute la plus saisissante du morceau.
Dans le mouvement lent, la mélodie, d’abord confiée au hautbois, circule à travers l’orchestre via différents pupitres. La musique s’anime, enfle, le basson reprend le thème principal, puis tout s’éteint dans la tristesse.
« Le troisième mouvement, dit Tchaïkovski, n’exprime pas de sentiments définis. Ce sont des arabesques capricieuses, des images insaisissables, qui passent dans l’imagination lorsqu’on a bu un peu de vin et qu’on entre dans la première phase de l’ivresse. » Pour exprimer cette fantaisie, le compositeur a imaginé un scherzo fantomatique aux seules cordes en pizzicato, avec une partie centrale pépiante en forme de chanson populaire confiée aux vents.
La symphonie s’achève par une fête populaire endiablée un instant interrompue par l’irruption du fatum. Elle est au bout du compte moins originale par son propos ou sa structure que par nombre d’éléments thématiques et de trouvailles orchestrales qui suscitent régulièrement la surprise.
Christian Wasselin
Le concert du 15 mai sera diffusé en direct sur France Musique et sur les radios de l’UER.