Sonia Wieder-Atherton : Déconstruire pour renaître

Pour une jeune interprète comme Sonia Wieder-Atherton, se plonger durant ses études dans des œuvres de musique contemporaine au sein d'ensembles, d'orchestres ou en duo complice violoncelle piano avec George Benjamin, voire comme auditrice, contenait déjà en germe tout ce que sa future vie professionnelle allait lui apporter. Déjà, étudiante en 3ème cycle au CNSM de Paris, elle avait poussé la porte du bureau de la musique contemporaine afin de nourrir son insatiable curiosité. Découvrir des écritures bigrement originales, quitte à ne pas toujours savoir vers qui se tourner pour les décoder, préparer ces pièces en temps limité peut s'avérer fastidieux ; il en aurait fallu cependant bien davantage pour décourager la jeune femme avouant « s'être jetée dedans avec passion comme si elle recommençait tout à zéro ».
Dans la Moscou soviétique, elle avait entendu jouer chez sa mentor Natalia Chakhovskaïa des compositeurs comme Boris Tchaïkovski ou Vassili Sapelnikov et avait pu constater qu'il n'y avait aucune rupture dans la manière d'envisager le répertoire de la part d'interprètes qui confiaient leurs créations à leurs élèves, lesquels, à leur tour, les jouaient dans un bel acte de transmission. « Vivre ces moments-là était puissant » se souvient celle qui n'a eu de cesse de se lier d'amitié avec les créateurs, pour mieux constater que leurs partitions regorgent de détails biographiques, « comme dans Celo où Pascal Dusapin a émaillé ce concerto de choses qu'il sait sur moi ». En quelque sorte, le journal d'une complicité magnifiée par un archet dont l'interprète renonce à dessein à utiliser de la colophane.
Un autre compagnonnage a bouleversé Sonia Wieder-Atherton, celui entretenu avec Henri Dutilleux. Comme si elle était la seule personne à avoir jamais joué ses pièces, le compositeur de L'Arbre des songes lui a toujours témoigné une rare disponibilité, notamment quand ils partageaient quelque moment privilégié autour d'un savoureux plat de poissons. La violoncelliste évoque avec émotion un des plus grands moments de sa vie – dans un studio de France Musique pour une émission de Jean-Pierre Derrien – quand elle lui a joué ses Trois strophes sur le nom de Sacher. Quelle ne fut pas sa surprise de constater que le compositeur jugeait bénin les choses qu'elle pensait ne pas avoir réussi : « une grande leçon de vie dans une totale ouverture à l'autre, un des plus beaux face-à-face jamais vécus » s'émeut-elle encore.
Au début des années 2000, une autre rencontre, celle de Georges Aperghis, allait fasciner Sonia Wieder-Atherton : « il est d'une totale intégrité dans sa solitude de compositeur, ne négociant absolument rien dans son rapport au travail, à la partition, ne dissimulant pas ses moments de doute, avec ce quelque chose à la Francis Bacon, la violence en moins, toujours prêt à remettre tout en question à chaque seconde ». Son langage a donné l'impression à la violoncelliste qu'elle se trouvait devant un nouvel alphabet à apprendre de A à Z, dans une puissance d'écriture inouïe : « grâce à Profils, j'ai abordé de nouvelles couleurs qui font partie de ma palette, j'ai pu envisager les choses différemment et ce ne fut pas sans conséquence sur ma compréhension du répertoire classique. »
Après avoir évoqué Wolfgang Rihm, un autre grand créateur qui lui a dédié Versuchung, concerto créé en 2009 par Les Siècles et François-Xavier Roth, Sonia Wieder-Atherton a hâte de passer au prochain défi posé par Francesco Filidei, lors du festival Présences 2023 : « j'ai découvert son travail fantastique à travers son opéra L'inondation. Je me suis dit qu'un univers extraordinaire était en train de se dérouler devant nous et que ces moments de lyrisme interviennent après un tel chaos, un peu comme si un enfant était en train de vous le chanter. Je trouve dans sa musique quelque chose qui relève à la fois du drame absolu et de la plus grande innocence. »
Après s'être immergée dans son oratorio et ses pièces pour divers instruments, elle l'a accueilli au concert Shakespeare Bach qu'elle donnait avec Charlotte Rampling aux Théâtre des bouffes du Nord. Leur collaboration était née, il ne restait plus au Festival Présences de susciter cette création : « la conception de ce nouveau concerto me paraît novatrice dans sa narration, dans sa manière de faire tourner le violoncelle pour qu'il construise progressivement son rôle de soliste, après être passé par des périodes très différentes. On en revient toujours à l'idée de déconstruction et de renaissance. La nouveauté surgira de la narration et de ce que Francesco demandera au violoncelle. » A n'en pas douter, une musique comme celles qu'aime Sonia Wieder-Atherton, en osmose totale avec le monde et pourvoyeuse de chaos interne pour l'auditeur. Une nouvelle étape dans la prise de risques de cette interprète hors du commun, pleinement engagée dans un rapport sans cesse renouvelé à son instrument.
Benjamin François