Trois questions à Adèle Van Reeth

Adèle Van Reeth, quelle est votre expérience ordinaire de la musique ?
J’écoute de la musique quotidiennement, et ce depuis toujours. Je me souviens de ma joie quand, pour mes six ans, mes parents m’ont offert un poste « radio-cassette » multicolore : je le déplaçais partout avec moi dans la maison pour pouvoir écouter de la musique en permanence. C’est aussi avec ce poste que j’ai commencé à écouter la radio ! J’ai gardé cette habitude aujourd’hui : j’écoute de la musique dès que je ne suis pas en train de travailler, en fin de journée, en courant, en voiture, avec les enfants. J’aime tous les styles de musique, j’alterne les grands classiques avec les nouveautés. J’ai aussi toujours joué d’un instrument en dilettante. La musique est un élément central de ma vie quotidienne.
La musique peut se révéler abstraite dans le cas de la musique instrumentale, ou porter un propos dans le cas de la musique vocale. Peut-elle nous amener à penser ?
La musique est un moyen d’accéder au réel sans passer par les mots. Une mélodie, un rythme, un enchaînement d’accords peuvent nous toucher infiniment plus qu’une phrase, précisément parce qu’ils s’adressent à nous sans avoir à être traduits par le langage. La musique crée un rapport immédiat entre ce que nous avons de plus intime et le reste du monde. D’où le fait qu’elle puisse nous bouleverser si facilement, nous émouvoir aux larmes, ou nous donner envie de danser. De Schopenhauer à Clément Rosset, nombreux sont les philosophes qui tiennent la musique pour le mode d’expression ultime de ce qui est.
La musique est enseignée dès la maternelle. Devrait-on en faire de même avec la philosophie ?
Bien sûr ! Je suis résolument pour l’enseignement de la philosophie dès le plus jeune âge. Précisément parce qu’il y a une manière de faire de la philosophie qui, comme la musique, consiste tout simplement à essayer de dire ce qui est et à s’étonner de ce qui existe. Ces questions-là sont les plus simples, et ce sont souvent les plus difficiles à formuler à l’âge adulte. Comme avec un instrument, il faut se familiariser tôt avec la philosophie pour apprendre à la pratiquer. La musique comme la pensée est une affaire de justesse.
Propos recueillis par Gaspard Kiejman