Un organiste à Radio France

THOMAS OSPITAL, En quoi va constituer votre résidence à la Maison de la Radio et de la Musique ?
Le contenu de cette résidence est presque entièrement défini : ouvrir plusieurs concerts symphoniques par une pièce d’orgue afin de permettre au public de découvrir l’instrument et de faire évoluer la représentation qu’ils s’en font, en essayant évidemment de choisir des morceaux en rapport avec le programme ; intervenir pendant le weekend des Journées du patrimoine, peut-être sous une autre forme qu’un concert d’orgue classique - pourquoi pas un duel d’improvisation comme celui auquel j’ai participé récemment à Budapest ? Et en juin 2017, lors du dernier concert de la saison, créer une œuvre qui aura été commandée à un compositeur n’ayant jamais écrit pour l’orgue et que j’aurai accompagné tout au long de son travail afin qu’il puisse exploiter au mieux l’instrument. D’autres activités s’ajouteront très certainement au fil de la résidence.
On pourra vous entendre cependant dès la fin de la saison 2015-2016…
Oui, je donnerai plusieurs concerts en mai à l’occasion de l’inauguration officielle de l’instrument : un pour encourager le mécénat, un pour les salariés de Radio France, dans un programme allant de Bach
Au fait, d’où venez-vous ? comment l’orgue est-il arrivé jusqu’à vous ?
Je suis né au Pays basque. J’ai commencé la musique assez tard, à onze ans. Mon père chantait dans la chorale paroissiale du village. Un jour, je l’ai accompagné, et comme je m’ennuyais tout en regardant cette chose mystérieuse, là-bas, avec ses tuyaux, le chef de chœur m’a dit : va t’asseoir devant le clavier et donne-nous le ton. Il m’a pris la main, l’a mise sur la touche, et j’ai ressenti comme un coup de foudre. Je me suis dit que je ferais de l’orgue et rien d’autre. A treize ans, je suis entré au Conservatoire de Bayonne, où j’ai travaillé avec Esteban Landart, un élève de Jean Boyer. A dix-huit ans, j’ai intégré le Conservatoire de Paris que j’ai quitté l’an dernier après avoir suivi trois cursus : l’orgue avec Olivier Latry et Michel Bouvard ; l’improvisation avec Thierry Escaich, Philippe Lefebvre, Laszlo Fassang et Jean-François Zygel ; et l’écriture avec Fabien Waksman, Pierre Pincemaille et Thierry Escaich de nouveau. En 2015, j’ai été nommé titulaire de l’orgue de Saint-Eustache, à la suite d’un concours où se sont présentés cinquante-deux candidats. Je partage cette charge avec mon collègue Baptiste-Florian Marie-Ouvrard, et nous avons le redoutable privilège de succéder à Jean Guillou qui est resté plus de cinquante ans titulaire. Saint-Eustache est une église magnifique, l’orgue l’est aussi, et je n’oublie pas que c’est là que Berlioz a créé son Te Deum. J’ai aussi la chance, en outre, de voyager dans le monde entier, de donner un peu partout des concerts.
Votre concert pour le personnel de la Maison de la Radio et de la Musique, avez-vous dit, ira de Bach à aujourd’hui. Est-ce que tout commence avec Bach ?
Non bien sûr ! On trouve beaucoup de répertoire avant Bach, une musique propre à chacune des régions de l’Europe. Cependant, son œuvre reste un des sommets de la littérature pour orgue. A la Maison de la Radio et de la Musique, le nouvel orgue a été conçu pour être le plus éclectique possible. On pourra donc y jouer un répertoire extrêmement varié, même s’il conviendra idéalement au répertoire romantique et symphonique (Mendelssohn, Liszt, jusqu’à Vierne, Widor et Duruflé) et au répertoire contemporain. Le caractère très orchestral de cet instrument nous invitera à la transcription, qu’il faut pratiquer sans hésiter.
Précisément : j’ai appris qu’il y aurait, lors du weekend d’inauguration de l’instrument, un concerto pour piano de Beethoven transcrit pour piano et orgue…
Oui, et le résultat sera très convaincant, j’en suis sûr. J’ai joué plusieurs fois Pelléas et Mélisande de Fauré transcrit à l’orgue ; eh bien, j’ose dire que « La Fileuse » marche mieux à l’orgue qu’à l’orchestre. Je suis en train de transcrire les cinq pièces de Ma Mère l’Oye de Ravel, à partir de la version pour orchestre : il y a des détails, des scintillements qui sont vraiment révélés par l’orgue. Plus tard, pendant ma résidence, je jouerai L’Île des morts de Rachmaninov transcrite par Louis Robilliard.
Il y a la transcription, il y a aussi l’improvisation…
L’improvisation n’a jamais quitté la pratique des organistes. N’oublions pas que la classe d’orgue du Conservatoire de Paris était une classe d’improvisation jusqu’en 1969, date à laquelle on a scindé la classe en deux : improvisation et interprétation. Jusqu’au milieu du XXe siècle, cette classe d’orgue était d’ailleurs une antichambre de la classe de composition, c’est pourquoi un Debussy a été auditeur libre dans la classe de Franck au Conservatoire. Improviser, après tout, c’est faire de la musique de manière instantanée, c’est pour moi l’aspect essentiel de cette pratique. Ensuite, les querelles de styles et genres sont tout à fait secondaires. Pour ma part, je m’amuse autant à faire une improvisation libre qu’à imiter les maîtres anciens ou improviser sur un film. Bien sûr, la principale difficulté réside dans la capacité qu’on possède à se renouveler. Cette pratique faisant appel aux mouvements digitaux, nous sommes parfois doublés par nos reflexes. Mais ce sont les mêmes problèmes qui se posent aux musiciens de Jazz.
Qu’aimeriez-vous proposer ou démontrer avec l’orgue de la Maison de la Radio et de la Musique ?
J’aimerais réconcilier le public des concerts symphoniques avec l’orgue, faire évoluer la représentation que l’on se fait parfois de l’orgue. Aujourd’hui avec l’avènement de deux orgues de concert, celui de la Maison de la Radio et de la Musique et celui de la Philharmonie, l’occasion nous est offerte de donner une seconde identité à un instrument qui, pour beaucoup, a vocation à n’être joué que dans les églises. A nous, organistes, de profiter de ce renouveau.
Propos recueillis par Christian Wasselin