Ainsi parlait Richard Strauss

« Inutile pour lui d’économiser : les moyens sont des plus fastueux. » Cette phrase de Theodor Adorno parlant de Richard Strauss résume bien l’art du musicien allemand. Peu de compositeurs auront autant marqué de leur sceau l’histoire de l’orchestre. Son imaginaire flamboyant et coloré, la richesse, la virtuosité et le raffinement de son écriture orchestrale vont modifier le paysage musical de son époque.
S’il y a une forme que Strauss va faire évoluer, c’est le poème symphonique. Véritable terrain d’expérimentation pour le musicien, il devient sous sa plume un genre d’une ampleur et d’une puissance sonore jusqu’ici inédite.
Dès lors, on a cherché les filiations. De qui est-il le descendant ? Certains en ont fait l’héritier direct de Wagner et de Liszt. D’autres l’ont rapproché de Berlioz. S’il est en effet fasciné par la force expressive des pièces des deux premiers, s’il est marqué par le Traité d’orchestration du troisième (à tel point qu’il en publiera sa propre révision), le jeune compositeur va vite s’émanciper de ces modèles. En faisant exploser le cadre du poème symphonique, il renouvelle le genre, préférant le qualifier de poème sonore. En une dizaine d’années naissent Don Juan, Macbeth, Mort et transfiguration, Till l’espiègle, Ainsi parlait Zarathoustra, Don Quichotte, Une vie de héros.
Chaque poème semble plus ambitieux que le précédent. Richard Strauss fait tout pour maîtriser « cette maudite beauté sonore qui s’échappe malgré [lui] » et déploie une imagination sans limite. S’il se fait un nom grâce à la virtuosité de son écriture et à la brillance de son Don Juan, c’est une tout autre histoire qu’il raconte dans Mort et Transfiguration, où il décrit les dernières heures de la vie d’un homme, entre souffrance et délivrance. On le retrouve quelques années plus tard railleur et facétieux avec Till l’espiègle… puis philosophe dans Ainsi parlait Zarathoustra, librement adapté de Nietzsche. À l’époque, le discours musical surprend, l’intensité orchestrale est à son paroxysme… Zarathoustra, musique descriptive et grandiose, fascinera les artistes du XXe siècle, Stanley Kubrick en premier lieu, qui utilisa son lever de soleil dans son film 2001, l’odyssée de l’espace. Glenn Gould parle de « moments d’orgasme expressifs ».
Diriger un poème symphonique de Strauss, c’est diriger un orchestre qui ne doit pas faillir face à une écriture dense, complexe, luxuriante et virtuose. C’est aussi pouvoir compter sur les individualités de l’orchestre. Dans Don Quichotte, le personnage n’est plus chanté par l’orchestre, mais par un instrument, le violoncelle, qui se bat contre un troupeau de moutons et des moulins à vent. Et que dire du violon, qui, à la fin d’Une vie de héros, s’échappe pour chanter l’amour et incarne la femme du compositeur ! Le héros de cette vie, c’est justement le compositeur, qui, à seulement trente-quatre ans, a déjà transfiguré le genre.
Émilie Munera