Anne-Charlotte Rémond : « Trouver l’image »

Anne-Charlotte Rémond, comment avez-vous été amenée à travailler à la radio ?
J’enseignais déjà dans divers conservatoires (à Pantin, à Arpajon, etc.) et j’ai décidé d’écrire une lettre à Claude Samuel pour me « faire engager ». J’y ai tout de suite exposé ma philosophie, à savoir que la radio est un médium à mi-chemin entre le spectacle et la pédagogie, et que c’était ce qui me tentait. On m’a orientée vers la directrice des programmes de l’époque, laquelle m’a dit qu’ils cherchaient justement de nouvelles voix pour France Musique. Nous avons suivi des ateliers avec une réalisatrice qui nous faisait faire des exercices de présentation de concerts, de table ronde, de magazine, etc. Ce qui a donné lieu à un été où on nous a confié la matinale (« Tartines, musique et parasols », titre qui d’ailleurs avait fait frémir les producteurs de l’époque !), puis j’ai été engagée pour faire des présentations de concert.
Y avait-il des consignes quant à la prise de parole musicologique dans ces ateliers ?
Il ne fallait surtout pas effrayer les auditeurs, ne pas avoir l’air professoral tout en apportant aux gens des connaissances qu’ils n’ont pas forcément, sans jamais être cuistre : pas de mots techniques, ou alors les expliquer.
Ce qui est assez proche du ton qu’on nous recommande aujourd’hui, finalement…
L’idée était d’être le plus proche possible des auditeurs. Quand j’ai commencé à avoir des émissions régulières, notamment la matinale en 1995-1996, il y avait surtout des consignes précises concernant la programmation musicale : diffuser des plages de musique joyeuse, assez courtes, en limitant clavecin, orgue, chant et musique de chambre, et en privilégiant la musique d’orchestre et les allegros. On cherchait à deviner les goûts du public… et effectivement, nous avons sans doute besoin d’une musique légère au petit matin. J’avais même reçu une lettre d’auditeur grommelant qu’il s’était rendormi quand j’avais diffusé l’Adagietto de la Cinquième Symphonie de Mahler !
Question curieuse : est-ce que votre émission, « Musicopolis », correspond exactement à votre vision de la parole musicale à la radio ?
Complètement ! En vérité, je n’ai jamais reçu d’autres consignes que de faire ce que j’avais envie de faire. Une des premières choses qui m’ait été dites en arrivant à la radio, en 1992, c’était : « Faites-vous plaisir, vous ferez plaisir aux auditeurs. » Au fond, même la consigne de parler moins ne m’a jamais été adressée, alors qu’à l’époque, j’allais jusqu’à faire 50% de parole et 50% de musique…. Les auditeurs me remerciaient en m’indiquant que moi, au moins, je ne parlais pas trop ! Finalement, la parole en radio est vraiment une question de ressenti, et non de chronomètre.
Vous êtes professeur d’analyse au Conservatoire de Paris. Trouvez-vous des ponts entre l’exercice de l’analyse et celui de l’explication radiophonique ?
Ce qui est agréable, en enseignant, c’est que je peux employer des termes techniques. Pour la radio, cela demande plus de travail d’élaboration de la pensée pour quand même faire ressentir les événements musicaux qui sont sur la partition. Mais ça développe l’imagination, à la radio comme sur scène pour présenter des concerts.
Présentation sur scène et à la radio : même principe ?
Oui ! Même si, effectivement, la communication se fait plus directement sur scène : nous pouvons instantanément profiter de la réaction du public en direct. À la radio, on lance un peu des bouteilles à la mer ! J’ai eu l’occasion de présenter à des enfants récemment une pièce extrêmement ennuyeuse de Jacques Aubert (1689-1753). À force de lier l’idée de la cadence à celle de la précieuse révérence à l’époque de la cour, ils ont tout de suite compris la différence entre demi-cadence et cadence parfaite… et je me suis moi-même prise au jeu d’écouter sans m’ennuyer ! Si on veut expliquer quelque chose, il faut trouver l’image pour que l’idée soit comprise et retenue, en proposant dans un contexte qui fait que les auditeurs peuvent imaginer une époque, un lieu, et y replacer la musique plus facilement.
Propos recueillis par Christophe Dilys